Page:La Revue blanche, t16, 1898.djvu/630

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— J’aimerais voir ce château… Mais… peut-on le visiter entièrement ? Peut-on monter chaque escalier, errer dans l’enfilade des salles ?

— Oui, oui ! Visiter les moindres trous, les moindres recoins.

— Mais s’ils ne sont sortis que pour une heure, jusqu’à ce qu’il fasse plus sec, et s’ils viennent me chercher ensuite…

— Soyez tranquille. Pas de danger. Car j’ai entendu Tilney crier à un cavalier qui passait près de lui qu’ils allaient à Wick Rocks.

— Alors, je veux bien. Irai-je, madame Allen ?

— Comme il vous plaira, ma chère.

— Madame Allen, persuadez lui de venir ! fut le cri unanime.

Mme Allen ne fut pas sourde à cet appel.

— Bien, ma chère, dit-elle. Je suppose que vous irez.

Deux minutes après, ils étaient partis.

Catherine, tandis qu’elle montait en voiture, était partagée entre le regret de délaisser un grand plaisir et l’espoir de goûter bientôt un plaisir différent, mais non moins grand peut-être. Elle ne pensait pas que les Tilney eussent agi tout à fait bien de rompre si vite leur engagement, sans lui envoyer un mot d’excuse : il ne s’était guère écoulé qu’une heure depuis le moment d’abord fixé pour la promenade, et, en dépit de la désolante description qui lui avait été faite de l’état des chemins, elle ne tarda pas à s’apercevoir qu’on pouvait circuler sans tant de difficultés. Ce manque d’égards lui était très pénible. D’autre part, la joie de visiter un château pareil à celui d’Udolphe (son imagination se représentait ainsi Blaize Castle) devait la faire passer sur bien des contre-temps.

Rapidement, ils descendirent Pulteney Street et traversèrent Laura Place. Thorpe parlait à ses chevaux. Elle pensait tour à tour à des promesses rompues et à des voûtes croulantes, à des phaétons et à de mystérieux huis, aux Tilney et à des oubliettes. Comme ils traversaient Argyle Buildings, elle fut tirée de ses réflexions par Thorpe :

— Qui est cette jeune fille qui vous dévisageait en passant près de nous ?

— Qui ? où ?

— Là-bas. Elle doit être presque hors de vue maintenant.

Catherine regarda, et elle vit Mlle Tilney au bras de son frère : ils descendaient lentement la rue. Elle les vit se retourner et la regarder.

— Arrêtez, arrêtez, monsieur Thorpe ! criait-elle avec impatience. C’est M. Tilney, c’est lui ! Comment avez-vous pu me dire qu’ils étaient partis. Arrêtez, arrêtez ! je veux descendre tout de suite et les rejoindre.

Paroles vaines. Thorpe, tout simplement, lâcha les rênes, et le trot s’accéléra. Les Tilney ne se retournaient plus. À l’angle de Laura Place, ils disparurent. Cependant le cabriolet traversait au grand trot Market Place, s’engageait dans une rue, et toujours Catherine suppliait Thorpe :

— Je vous en prie, je vous en prie, arrêtez, monsieur Thorpe ! Je