Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notamment dans son journal, le Nuevo Regimen, le courage de revendiquer pour les héroïques insurgés de la grande Antille l’entière liberté, conseillant d’assurer, en échange, à la métropole, d’importants avantages économiques et commerciaux, conseil à coup sûr pratique et qui, s’il eût été suivi, conservait à l’Espagne, en même temps que des milliers de vies humaines et des millions, depuis gaspillés en pure perte, une situation morale certainement très supérieure à celle qu’elle possède aujourd’hui.

Mais Pi y Margall, républicain libertaire, parlait en homme dont l’honnêteté s’élevait au-dessus des calculs intéressés de la politique. Emilio Castelar, au contraire, le démocrate fidèle à la monarchie, le grandiloquent ennemi de tous les progrès qui lèsent les intérêts conservateurs, le pourfendeur en chambre du socialisme et de l’anarchie, avait, dès les débuts de la dernière insurrection (février 1895), pris à l’égard des Cubains luttant pour se soustraire à la plus intolérable des oppressions, une attitude implacable, contrastant fort avec ses opinions exprimées jadis — tout dans sa vie n’est-il pas contraste ? On eût dit Thiers flétrissant les défenseurs de la Commune, et de fait c’est au bombardeur de Paris que le bombardeur de Carthagène a le plus de plaisir à se voir comparer.

Alors que, malgré les fanfaronnades des chauvins, la grande masse de la nation espagnole, on peut le dire l’immense majorité du peuple travailleur demeuraient visiblement indifférents à une guerre dans laquelle ils avaient à perdre des milliers de leurs fils et le pain qu’assure l’esclavage capitaliste, et à gagner, peut-être, un changement de régime, des démocrates fougueux réclamaient la guerre au nom de l’honneur national. Tel M. Blasco Ibanez, député et directeur du Pueblo de Valence, orateur puissant, très écouté des masses de son ardente région, et qui, jadis révolutionnaire, a sagacement refréné ses ardeurs jusqu’à prendre place auprès du futur président de la république conservatrice espagnole — l’éternelle histoire de ceux qui veulent arriver ! Sous ce titre, en énormes capitales « Viva Espana con honra ! » (Vive l’Espagne avec honneur !), le Pueblo réclamait la guerre au nom de cette idée de patrie, si souvent opposée à celle de liberté et de justice. Tout comme, un mois plus tard, aux préludes trompeurs d’une révolution bien vite enrayée, M. Ibanez allait pousser dans le même journal ce cri de guerre retentissant : Ahora o nunca ! (Maintenant ou jamais), puis, dès le lendemain, filer doux devant l’état de siège proclamé. Ce n’est guère à des députés qu’il faut demander du courage : tout au plus à des candidats et encore !

À Barcelone, la capitale morale de l’Espagne, la ville démocratique et travailleuse, les partisans de M. Castelar s’efforçaient d’entraîner la population vers la guerre ; des manifestations quotidiennes avec drapeaux et fanfares, descendant la Rambla, allaient acclamer dans ses bureaux la Publicidad, feuille inspirée par le grand homme