Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/222

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et or, que vous n’aviez pas vu malgré votre minutieux examen. Sous l’empire d’un irrésistible pressentiment, vous vous approchez. Vous ouvrez les battants, visitez les tiroirs, sans rien découvrir qui vaille l’attention, un amas de diamants tout au plus. Mais vous avez touché un ressort secret, un panneau intérieur s’est ouvert : vous apercevez un rouleau de papier. Vous le saisissez : c’est un manuscrit volumineux. Riche de ce trésor, vous courez à votre chambre. À peine avez-vous pu déchiffrer : « Oh ! qui que tu sois, toi entre les mains de qui est tombé ce mémorial de la déplorable Mathilde… » la mèche s’éteint au bec de la lampe : vous êtes dans les ténèbres.

— Oh, non ! non ! ne dites pas cela !… Je vous en prie, continuez.

Mais Henry était trop amusé par le spectacle de l’émoi de sa compagne pour être capable de continuer le jeu et de maintenir plus longtemps sa voix dans le ton solennel du sujet. Il déclara remettre à l’imagination de Catherine le soin d’achever la lecture des malheurs de Mathilde. Catherine, reprenant possession d’elle-même, fut honteuse d’avoir montré une si avide curiosité : elle affirma que son attention avait été séduite, mais non pas sa foi. Elle était certaine que Mlle  Tilney ne la logerait pas dans une telle chambre. Elle n’avait nulle crainte à ce sujet.

Comme approchait la fin du voyage, son impatience de connaître Northanger, qu’avait atténuée une conversation relative aux sujets les plus divers, reprit le dessus, et, à chaque détour de la route, elle espérait, avec une crainte religieuse, voir surgir d’un massif de chênes ses murailles de pierre grise et étinceler au soleil du soir ses hautes fenêtres gothiques. Mais le bâtiment était si peu élevé qu’elle avait franchi les portes d’enceinte et se trouvait en plein sur le territoire de Northanger sans avoir vu même une antique cheminée.

Elle ne savait pas bien si elle devait s’étonner, et pourtant il y avait dans cette façon d’aborder l’abbaye quelque chose qui la déconcertait. Longer des bâtiments tout modernes, se trouver et si naturellement dans l’enceinte de l’abbaye, rouler si vite sur un fin gravier, tout cela sans obstacles, sans alertes, sans cérémonial d’aucune sorte, voilà qui la frappait comme un fait étrange et contradictoire. Quoi qu’il en soit, elle n’eut pas le loisir d’une ratiocination plus longue. Un paquet de pluie venait de la frapper au visage, et tout son effort de pensée se consacra à la sauvegarde de son chapeau de paille neuf. Elle était alors sous les murs mêmes de l’abbaye. Elle sauta de la voiture avec l’aide de Henry et se trouva sous l’antique porche, à l’abri. Aussitôt elle pénétrait dans le vestibule où l’attendaient pour lui souhaiter la bienvenue, son amie et le général, — et nul présage de malheur, pas le moindre rappel de quelque scène d’horreur dont eût été témoin l’imposant édifice. Le vent n’avait point porté vers Catherine les soupirs de la victime ; il se contentait de porter une brume épaisse et de faire claquer les jupes de la jeune fille. Celle-ci était prête à faire son entrée au salon et capable de se rendre compte de ce qui se passait autour d’elle.