Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/224

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regard tomba sur un coffre relégué dans une profonde encoignure, près de la cheminée. Elle soubresauta et, oubliant toute autre chose, dans un étonnement immobile elle contempla le coffre, cependant que la traversaient ces pensées :

— Voilà qui est étrange ! Je ne m’attendais pas à cette découverte ! Ce coffre énorme ! Que peut-il contenir ? Pourquoi l’avoir placé là ? On l’a mis à l’écart, comme pour le cacher… Si je regardais… Coûte que coûte, je saurai ce qu’il contient… et même tout de suite… en plein jour. Le soir, ma lumière pourrait s’éteindre.

Elle s’approcha du coffre, l’examina de tout près : ses parois de cèdre étaient curieusement incrustées d’un bois plus sombre ; il avait un support bas de cèdre sculpté ; la serrure était d’un argent terni par le temps, et les poignées d’argent étaient rompues, décelant peut-être quelque étrange violence ; le centre du couvercle se marquait d’un monogramme du même métal. Catherine se pencha, mais sans parvenir à le déchiffrer. De quelque côté qu’elle se mît, la seconde lettre persistait à ne pas être un T. Et que ce fût une autre lettre, il y avait là de quoi susciter un étonnement peu ordinaire, cette maison appartenant aux Tilney. S’il n’était pas originairement leur, par quel concours de circonstances ce coffre leur était-il échu ?

Sa curiosité allait croissant. De ses mains tremblantes, Catherine dégagea le moraillon. Avec difficulté, car quelque chose semblait contrarier ses efforts, elle parvint à soulever de deux ou trois pouces le couvercle. À ce moment, un coup à la porte la fit tressaillir ; elle retira la main et le couvercle retomba lourdement. L’intruse était une femme de chambre qui, sur l’ordre de Mlle  Tilney, venait offrir ses services. Catherine la congédia, mais, rappelée à la réalité, et en dépit de son anxieux désir de pénétrer un mystère, elle procéda à sa toilette sans autre délai. Elle n’allait pas vite, car ses pensées et ses regards étaient encore fixés sur l’inquiétant objet ; et, quoiqu’elle n’osât consacrer une minute à une nouvelle tentative, elle ne pouvait se désintéresser du coffre. Cependant, quand elle eut passé une des manches de sa robe, sa toilette semblait si près d’être finie qu’elle crut pouvoir donner un gage à sa curiosité. Oh, il ne s’agissait que d’une minute. Elle ferait un effort si décisif que le couvercle, si une puissance occulte ne le maintenait, céderait. Elle s’élança donc, et son espoir ne fut pas déçu. Le couvercle se souleva et, à ses yeux étonnés, parut, soigneusement pliée et seule dans l’immensité du coffre, une courtepointe en coton blanc.

Elle la considérait, et l’étonnement rosissait ses joues, quand Mlle  Tilney, qui craignait que Catherine se mît en retard, entra dans la chambre. À la honte d’avoir donné asile à une absurde espérance s’ajoutait en Catherine la honte d’être surprise.

— C’est un curieux vieux coffre, n’est-ce pas, dit Mlle  Tilney comme Catherine se hâtait de le refermer et retournait à la glace. On ne sait depuis combien de générations il est ici. Comment arriva-t-il dans cette chambre ? je l’ignore ; mais je ne l’ai pas fait déplacer ; on pou-