Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/308

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

banc de la famille. Son regard s’y arrêta longtemps. La lecture de l’emphatique épitaphe, où toutes les vertus étaient attribuées à la morte par cet inconsolable mari qui pourtant avait dû être son bourreau, affecta Catherine aux larmes.

Que le général, capable d’avoir élevé ce tombeau, fût en état de l’affronter un instant, n’était peut-être pas bien étrange. Mais qu’il pût s’asseoir, avec un si audacieux calme, à proximité de ce tombeau, conserver cette noble sérénité, regarder sans crainte l’assistance, — non, même qu’il entrât dans l’église… n’était-ce pas stupéfiant ? Mais que d’individus endurcis au crime ne pouvait-on citer : elle en savait par douzaines qui s’étaient complus dans les vices les plus divers, ajoutant sans remords le crime au crime, jusqu’à ce qu’un trépas sanglant ou le cloître interrompît leur destin. Même la réalité du monument ne persuadait pas Catherine de la mort de Mme Tilney. Descendît-elle dans le caveau où les cendres, croyait-on, reposaient, contemplât-elle le cercueil où elles étaient prétendûment closes, cela prouverait-il rien ? Elle avait assez lu pour savoir qu’une figure de cire est docile à jouer un rôle et qu’une inhumation est souvent illusoire.

Le jour suivant serait plus fertile. La promenade matinale de M. Tilney, si inopportune en soi, allait donner plus de liberté aux jeunes filles. Catherine, dès qu’elle le sut parti, rappela à Mlle Tilney leur projet de l’avant-veille. Éléonore était prête. La première visite fut pour le portrait de Mme Tilney, dans la chambre d’Éléonore. C’était, — réalisant les prévisions de Catherine, — l’effigie d’une jolie femme au visage doux et pensif. Mais elle aurait cru que ce portrait restituât les traits, le teint, l’air même, sinon de Henry, d’Éléonore. Une ressemblance absolue entre la mère et l’enfant n’était-elle pas de rigueur dans les histoires tragiques ? Un masque une fois moulé était moulé pour des générations. Et voilà qu’ici elle était obligée d’étudier laborieusement l’image pour discerner une analogie indécise ! Malgré ce mécompte, elle ressentait une émotion profonde, et c’est à regret qu’elle eût quitté la place, si son âme n’eût été dominée par un intérêt plus puissant.

Quittant la chambre, les jeunes filles s’engagèrent dans la grande galerie. Catherine, trop agitée pour parler, regardait sa compagne. Éléonore était mélancolique et pourtant calme : évidemment aguerrie aux tristes choses vers lesquelles elles allaient. Derechef, la porte à double battant fut franchie, et Éléonore s’apprêtait à ouvrir la chambre mortuaire, tandis que Catherine se retournait pour fermer, par précaution, la première porte, quand, à l’autre extrémité du couloir, surgit le général lui-même.

— Éléonore !

L’édifice résonna de cet appel. Instinctivement, Catherine terrorisée essaya de se dissimuler. Quand son amie, qui, d’un regard s’était excusée, eût rejoint le général et eût disparu avec lui, Catherine courut se réfugier dans sa chambre, où elle s’enferma à clef. Elle y resta au moins une heure, en grand émoi, s’apitoyant sur sa pauvre