Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/376

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de qualités et de défauts. En conséquence, elle ne serait pas surprise si plus tard elle découvrait, même chez Henry et Éléonore, de légères imperfections : elle pouvait donc s’enhardir à reconnaître tout de suite quelques taches dans le caractère de leur père : le général était libéré des injurieux soupçons dont elle rougissait, mais, tout considéré, elle croyait bien qu’il n’était pas parfait.

Son opinion établie sur ces divers points et sa résolution prise de juger et d’agir désormais de la façon la plus circonspecte, elle n’avait plus qu’à s’absoudre et à être heureuse. L’étonnante générosité de Henry — jamais la moindre allusion à ce qui s’était passé — lui fut d’un puissant secours.

Les inquiétudes de la vie ordinaire succédèrent bientôt aux alarmes romanesques. De jour en jour allait croissant son désir d’avoir des nouvelles d’Isabelle. Que devenait le monde de Bath ? Y avait-il toujours foule aux Rooms ? Surtout elle était impatiente de savoir si Isabelle était parvenue à réassortir certain coton à tricoter qui la préoccupait vers le temps où Catherine était partie et de savoir si elle était toujours dans les meilleurs termes avec James. De la seule Isabelle elle attendait des lettres, Mme Allen et James lui ayant déclaré qu’ils n’écriraient pas avant leur retour à Fullerton et à Oxford. Mais Isabelle avait promis, et promis encore ; et quand elle avait promis une chose, elle tenait parole, ce qui rendait particulièrement étrange son silence.

Neuf jours, Catherine s’étonna de la répétition de son désappointement, chaque jour plus cruel. Le dixième, comme elle entrait dans la salle à manger, Henry lui tendit une lettre. Elle le remercia aussi chaleureusement que s’il l’eût écrite lui-même. Regardant la suscription :

— Elle n’est que de James.

La lettre venait d’Oxford. Catherine l’ouvrit.

Chère Catherine,

Dieu sait si j’ai peu envie d’écrire. Cependant il faut bien que je vous dise que tout est fini entre Mlle Thorpe et moi. Je l’ai quittée hier et Bath, pour ne plus les revoir jamais. Des détails ne feraient que vous attrister davantage. Bientôt vous serez assez renseignée d’autre part, pour savoir de quel côté sont les torts, et, je l’espère, vous absoudrez votre frère de tout, sauf de cette folie qu’il eut de croire son affection partagée. Dieu soit loué ! je suis désabusé avant qu’il soit trop tard. Mais quel rude coup ! Et mon père qui avait accordé de si bon cœur son consentement… N’en parlons plus. Elle m’a rendu malheureux pour toujours. Écrivez-moi, chère Catherine ; vous êtes ma seule amie. De votre affection à vous, je suis sûr. Je souhaite que vous ayez quitté Northanger avant qu’il y soit question des fiançailles du capitaine Tilney : vous vous trouveriez dans une situation difficile. Le pauvre Thorpe est à Londres. Je redoute de le revoir. Il sera si peiné en son honnête cœur. Je lui ai écrit et j’ai écrit à mon père… La duplicité de Mlle Thorpe me fait souffrir plus que tout. Jusqu’au dernier moment, quand je lui disais mes appréhensions, elle riait, déclarant que ses sentiments n’avaient pas varié. J’ai honte d’avoir été dupe si longtemps. Mais si jamais un homme eut quelque raison de se croire aimé, c’était moi. Je ne puis comprendre, même maintenant, quel était son but. Il n’était pas nécessaire pour s’assurer Tilney qu’elle jouât de moi. Il eût été