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— Comme toujours vous sentez de la façon la plus fine. Il est bon de faire une enquête sur de tels sentiments afin de pouvoir les éveiller à leur propre conscience.

Catherine, pour un motif ou pour un autre, se sentit si apaisée à la suite de cette conversation qu’elle ne regretta pas d’avoir été amenée, par le jeu des circonstances, à dire ces choses qu’elle voulait taire.


XXVI


Ce même sujet revint fréquemment dans les conversations de Henry et des deux jeunes filles. Catherine découvrit que ses amis étaient d’accord pour considérer que le nom obscur de Mlle  Thorpe et son peu de fortune seraient des obstacles à son mariage avec Frédéric. Ils étaient sûrs que ces deux considérations, indépendamment des critiques qu’on pourrait faire du caractère d’Isabelle, suffiraient à motiver le veto du général : ce qui ne laissait pas de causer à Catherine quelques craintes personnelles. Son nom n’avait pas plus d’éclat, et peut-être avait-elle aussi peu de fortune. Et si l’hoir des Tilney n’avait pas, lui, assez de lustre et de richesses pour ne rien exiger de sa femme, qu’exigerait donc de la sienne le frère cadet ? Elle ne parvenait à s’apaiser qu’en songeant à l’affection particulière qu’elle avait su inspirer au général. En raison des sentiments désintéressés dont il avait fait étalage plus d’une fois, elle était bien forcée d’admettre que les questions d’argent lui étaient plus indifférentes que ne le croyaient ses enfants.

Pourtant ceux-ci étaient si convaincus que leur frère n’oserait solliciter en personne le consentement paternel, ils assuraient avec tant d’insistance que l’arrivée de Frédéric n’avait jamais été si peu probable, que la crainte d’avoir brusquement à lui céder la place cessa de hanter Catherine. Mais, comme il n’était pas à prévoir que le capitaine Tilney, quand enfin il présenterait sa requête, dût faire un exposé bien exact de la situation, il lui semblait loyal que Henry soumît à son père les renseignements qu’il avait sur Isabelle : dès lors, en présence de sérieux éléments d’appréciation, le général ne se buterait plus à un misérable souci financier et pourrait établir son opinion d’une façon impartiale. Elle le dit à Henry. Contrairement à l’attente de Catherine, il ne s’éprit pas de cette idée.

— Non, c’est à Frédéric qu’il appartient de faire l’aveu de sa folie. Il racontera lui-même son histoire.

— Mais il n’en dira que la moitié.

— Un quart suffira.

Deux jours passèrent, qui n’apportèrent point de nouvelles de Frédéric. Le frère et la sœur ne savaient que penser. Tantôt, il leur semblait que ce silence prouvait la réalité de l’engagement ; tantôt que ce silence était tout à fait incompatible avec un tel engagement. Quoique très offensé que son fils négligeât de lui écrire, le général