Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/542

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Henry se tournant vers Catherine, pour la première fois depuis l’entrée de Mme Morland, lui demanda avec une gaîté soudaine si M. et Mme Allen étaient à Fullerton. Dans l’embarras confus des mots de la réponse, il discerna le sens qu’un oui eût suffi à donner. Aussitôt il exprima son désir de leur présenter ses respects, et, rougissant un peu, il demanda à Catherine si elle n’aurait pas la bonté de lui montrer le chemin.

— Vous apercevrez la maison de cette fenêtre, dit Sarah.

Henry Tilney s’inclina. Mme Morland d’un signe de tête fit taire Sarah. Elle ne voulait pas empêcher Catherine d’accompagner M. Tilney, pensant que les explications que celui-ci pouvait avoir à donner sur les façons de son père, il les donnerait plus facilement dans un tête-à-tête. Ils partirent. Mme Morland ne s’était pas trompée : Henry avait, en effet, à donner des explications relatives à son père, mais il voulait d’abord s’expliquer lui-même. Il parla donc et si bien, qu’il semblait à Catherine qu’elle n’entendrait jamais assez des paroles si douces. Elle était sûre maintenant de son affection. Henry sollicitait la sienne. Mais ne savaient-ils pas l’un et l’autre que, dès longtemps. Catherine était acquise à Henry ? À la vérité, s’il l’aimait, s’il se délectait au charme de son caractère et se plaisait fort en sa compagnie, je dois confesser que son affection avait eu pour origine quelque chose comme un sentiment de gratitude : il l’avait aimée de l’aimer. C’est là une conjoncture toute nouvelle dans le roman et qui fait déchoir terriblement mon héroïne ; mais si cette conjoncture est nouvelle aussi dans la vie réelle, eh bien, l’on dira que j’extravague.

Après une très courte visite à Mme Allen (Henry avait parlé sans bien savoir ce qu’il disait et Catherine, absorbée dans son bonheur, avait à peine desserré les lèvres), ils se retrouvèrent seuls, et Catherine sut alors jusqu’à quel point exactement le père avait approuvé la démarche du fils. Quand Henry était revenu de Woodston, il y avait deux jours, le général était allé à sa rencontre et, en termes rudes, l’avait informé du départ de Mlle Morland et lui avait intimé l’ordre de ne plus penser à elle.

Telle était l’autorisation dont pouvait se targuer Henry. Mais, du moins, — et, dans sa douleur, elle en éprouvait une joie intime — Henry venait-il de lui demander sa main avant de lui raconter ces incidents qui l’eussent peut-être incitée à un refus. À mesure que Henry donnait des détails et exposait les motifs de la conduite de son père, Catherine reprenait de l’assurance : le général n’avait rien à lui reprocher que d’être la cause involontaire d’une déception que son orgueil ne pouvait pardonner et qu’un orgueil plus haut eût été honteux d’avouer. Elle était coupable uniquement d’être moins riche qu’il n’avait cru. S’imaginant voir en elle une riche héritière, il l’avait comblée de ses prévenances à Bath, l’avait invitée à venir à Northanger et avait décrété qu’elle serait sa bru. Quand il découvrit qu’il s’était mépris, la congédier lui parut la meilleure marque, encore qu’in-