Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/544

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général l’avait appris de la personne même qui l’avait induit à les faire. Par hasard, il avait rencontré Thorpe à Londres. Sous l’influence de sentiments diamétralement opposés à ceux de naguère, irrité du refus de Catherine et aussi de l’échec d’une réconciliation tentée entre Morland et Isabelle, convaincu qu’ils étaient à jamais séparés, rejetant dédaigneusement une amitié qui ne lui était plus utile, Thorpe se hâta de contredire tout ce qu’il avait dit autrefois. Il avoua avoir été lui-même abusé. Les rodomontades de son ami lui avaient fait croire que M. Morland avait de la fortune et était un homme d’honneur, alors que les négociations des deux ou trois semaines dernières avaient établi le contraire. Après avoir débuté par les promesses les plus libérales, mis en demeure de s’exécuter, il avait, exposait le subtil narrateur, été contraint d’avouer qu’il lui était impossible de donner au jeune couple même le plus mince revenu. Au vrai, c’était une famille misérable, une famille populeuse au-delà de tout exemple, et, comme il avait eu récemment l’occasion de le constater, point du tout considérée dans le voisinage. Ils menaient un train de vie que leur situation ne pouvait justifier, cherchaient à se donner du lustre par de belles relations : — une race hardie, fanfaronne et intrigante.

Le général terrifié prononça alors le nom d’Allen et son regard interrogeait. Ici encore, Thorpe avait été induit en erreur. Les Allen, croyait-il, avaient vu de trop près les Morland. Thorpe connaissait le jeune homme à qui décidément devait échoir l’héritage de Fullerton. — Le général en avait assez entendu. Furieux contre tous, sauf contre lui-même, il était parti le lendemain pour l’abbaye, où nous l’avons vu à l’œuvre.

De tout cela, je laisse à la sagacité de mon lecteur le soin de déterminer ce qui put être immédiatement communiqué à Catherine, ce que le général avait dit à Henry, ce que celui-ci avait eu à conjecturer pour bien voir clair dans la situation et ce qui fut ultérieurement connu par une lettre de James. J’ai groupé les faits pour la commodité du lecteur. À lui de les départir pour la mienne. De toute façon, Catherine en savait assez maintenant ; elle en pouvait convenir : quand elle avait soupçonné le général d’un meurtre ou d’une séquestration, elle avait à peine forcé son caractère et exagéré sa cruauté.

Henry avait autant de douleur à révéler ces choses qu’il en avait eu à les apprendre. Il rougissait d’avoir à dévoiler les pensées mesquines de son père. La conversation qu’ils avaient eue à Northanger avait été fort peu amicale. En apprenant les mauvais procédés dont avait pâti Catherine et en recevant l’ordre de donner un autre cours à ses idées, Henry avait hardiment manifesté son indignation. Le général, habitué à faire la loi chez lui, et nullement préparé à rencontrer une résistance formelle, supporta mal l’opposition de son fils. Mais sa colère, pour violente qu’elle fut, ne pouvait intimider Henry, fort de sa conscience. Il se sentait lié d’honneur à Mlle Morland et