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Notre Loi des Suspects

La France a connu à plusieurs reprises, au cours de ce siècle, ces paniques, provoquées par certains attentats, savamment exploitées par la réaction et qui ont toujours fait payer à la liberté les frais d’une sécurité menteuse. Sous la monarchie de Juillet, les lois de septembre furent votées sous l’impression de tentatives de régicide, sous le prétexte de la défense de l’ordre social, mais en réalité dans le dessein d’étouffer par la peur le mouvement révolutionnaire qui se poursuivait dans les masses profondes d’un peuple tenu hors l’enceinte du pays légal, et qui avaient cessé de plaire aux anciens carbonari de la Restauration, devenus les conservateurs du nouveau régime auxquels ils devaient places, honneurs et fortune. Ces lois d’exception furent le commencement de la brouille définitive entre la royauté soi-disant républicaine de la branche cadette et une démocratie dégoûtée de l’hypocrisie du juste milieu, du monopole politique d’une bourgeoisie aussi égoïste et moins décorative que l’ancienne noblesse et de la corruption croissante d’une société asservie au capitalisme. C’est de l’adoption de ces mesures de salut public que datent, et l’expansion accélérée du socialisme, mis hors la loi par un gouvernement oublieux de ses origines, et le renouveau de l’idéalisme républicain proscrit par les anciens complices des conspirations révolutionnaires de la Restauration, et le dégoût sans borne et sans retour des libéraux, épris de justice et de progrès.

Le second Empire fondé sur le crime, né d’un coup d’État, n’avait pas à renier ses origines ou à mentir à son principe. Régime hybride qui avait l’impudeur d’associer dans ses formules à la doctrine césarienne de l’Élu du peuple la doctrine légitimiste de l’hérédité, il affectait également d’inscrire au fronton d’une constitution copiée sur celles de l’Empire, c’est-à-dire du despotisme le plus écrasant qu’ait connu le monde, les principes de 1789 et la déclaration des Droits de l’Homme, base du droit public des Français. En 1857, après l’attentat d’Orsini, il jeta le masque. La loi de sûreté générale vint suspendre le peu de garanties que le 2 décembre avait daigné laisser à ceux des citoyens français que la mitraille de Canrobert et les proscriptions de Maupas ou de Morny avaient épargnés.

Dès lors, le second Empire fut marqué au front d’une tache indélébile. Il eut beau revêtir je ne sais quelles défroques d’un libéralisme mensonger. Il eut beau chercher à s’approprier les formes de ce parlementarisme d’emprunt qui n’a jamais servi, en dehors du sol historique où il est né et où ses racines ont pu s’enfoncer dans les couches apportées par les alluvions des siècles, qu’à dresser le décor d’une