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Le Refus du Service militaire

Le nom du docteur autrichien Skarvan est déjà connu. On sait qu’il refusa, il y a quelques années, de servir dans l’armée comme médecin. Sa comparution devant le conseil de guerre, son internement dans une maison d’aliénés, la polémique qui s’engagea à son sujet entre les journaux, ont troublé alors l’opinion publique. On expliquait cette conduite de différentes façons : c’est un mystique religieux, disaient les uns ; un anarchiste, déclaraient les autres ; et beaucoup de journalistes le considéraient comme une victime du comte Léon Tolstoï.

Le Journal détaillé du docteur Skarvan vient de paraître. Il y a décrit très scrupuleusement toutes les hésitations de sa conscience et de son esprit qui ont précédé son acte héroïque, toutes les raisons qui l’y ont amené.

Le Dr Skarvan a écrit son Journal en langue russe, selon le désir de ses nombreux amis de Russie et en particulier de Léon Tolstoï. Ce Journal a été édité en Angleterre par M. Tchertkoff dans sa collection d’ouvrages sur les doukhobors et contre la guerre. On en lira ci-après les parties les plus saillantes. — W. B.

À mon entrée au régiment, je partageais déjà l’opinion du comte Tolstoï sur le service militaire. Je savais qu’il est tout à fait opposé aux préceptes du christianisme et à son esprit, en antagonisme absolu avec tout sentiment d’humanité, et que c’est chose impie que prêter serment et servir. Mais, bien qu’intimement convaincu de tout cela, j’entrai au service, ne me sentant pas assez de force spirituelle pour agir selon ma foi. J’ai éprouvé alors l’angoisse morale que doit ressentir tout homme dont les sympathies vont vers le bien, mais qui à trop conscience de sa faiblesse pour oser entreprendre un acte qui, il le sent à l’avance, sera au-dessus de ses forces. Car je ne savais pas encore que, pour engager une lutte chrétienne contre le monde, l’homme n’a besoin ni d’audace, ni en général d’aucun des attributs de l’héroïsme païen, qu’il lui faut tout autre chose : une certaine maturité spirituelle, un état d’esprit tel qu’il lui soit impossible de vivre d’une vie contraire à sa conscience… Mais, quand toutes les portes du salut sont fermées, il en reste une, et la plus étroite, que Dieu ouvre lui-même au moment le plus critique.

Au régiment, je me sentis tout de suite mal à l’aise. Les casernes me faisaient l’effet de maisons de fous : tout y était stupide et sauvage, et que de forces perdues !

[En 1894. Skarvan achevait ses études à la Faculté de Médecine d’Insprück ; il prit ses grades et entra alors, comme médecin militaire, dans le régiment qui était en garnison à Kaschau. La société des officiers, la vie de caserne, ses lectures, surtout les œuvres de Thomas A’Kampis, ne firent que fortifier ses idées contre le service militaire.]

Si nous sommes sur une certaine pente, nous allons en avant, pres-