Page:La Revue blanche, t18, 1899.djvu/565

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ses amis, écrire et recevoir des lettres. Parmi celles qui lui furent envoyées alors, il fait mention de deux lettres écrites par deux pasteurs.]

Et comme toujours, le clergé montra sa rudesse et son ignorance de la doctrine du Christ. En effet, ces deux pasteurs essayaient de me prouver que le service militaire n’est pas en contradiction avec le christianisme, que mon acte était illogique et cruel, et ils me conseillaient de me repentir, de rentrer dans l’obéissance, de reprendre mon service.

Beaucoup de personnes comprennent que le soldat refuse de rester à l’armée, car il est évident que le rôle du soldat au régiment est d’apprendre l’assassinat, en vue d’assassiner quand les chefs le demanderont ; mais, dit-on, le médecin militaire accomplit une œuvre chrétienne et quiconque refuse ce service mérite, au point de vue moral, le blâme et non l’approbation. Il y a là une grande erreur. Le service du médecin militaire est criminel comme tout service militaire, parce qu’il existe un lien très étroit entre son rôle et l’assassinat, seul but des armées. Cette relation est dissimulée par hypocrisie sous des apparences d’humanité, c’est pourquoi elle échappe à la plupart des hommes. Néanmoins, elle existe et qui veut bien la voir la verra, car il est très facile de soulever le voile trompeur qui la cache.

Le médecin militaire inspecte les soldats, c’est-à-dire qu’il décide quels hommes sont bons pour la chair à canon et quels ne le sont pas ; il visite les soldats punis par leurs chefs, c’est-à-dire qu’il décide lesquels parmi eux peuvent être enfermés en prison, lesquels peuvent supporter les fers, lesquels peuvent être privés de nourriture, etc. ; il aide donc à l’inhumaine et brutale violation des hommes. Le médecin militaire est, en tous cas, un mercenaire loué par la bande organisée des assassins, pour veiller à la santé d’hommes qui doivent être des victimes ou des meurtriers.

Pourquoi, dans ce cas particulier, vouloir méconnaître ce qui est connu de tous, à savoir que servir dans un établissement ignominieux et criminel, c’est une déchéance morale, une honte. Certainement, aucune honnête femme, quelle que soit la somme qu’on lui propose, ne consentirait à être la cuisinière d’une bande de meurtriers, bien que la préparation de la nourriture non seulement ne soit pas un péché, mais soit une des nécessités de l’existence des hommes. Et quelle différence y a-t-il entre une bande de meurtriers et une armée ? une différence de nombre.

Il est temps de comprendre quel abaissement, quelle humiliation il y a à vendre son savoir à ceux auxquels ce savoir est nécessaire pour atteindre plus sûrement leur but criminel.

[Le Dr Skarvan resta peu de temps à Kaschau après son arrestation ; il fut envoyé à Vienne, avec ce diagnostic du médecin militaire de Kaschau : « Folie religieuse mêlée aux idées de Tolstoï. » Skarvan, accompagné de deux gendarmes