Page:La Revue blanche, t18, 1899.djvu/571

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lorsque pour la première fois j’ai voulu fendre du bois. J’avais une bonne hache et le désir très grand de travailler. Néanmoins les résultats que j’obtenais étaient très médiocres au prix du travail que je faisais. Je multipliais mes efforts, j’avais des durillons aux doigts, et, malgré tout, il y avait certains troncs que je ne pouvais diviser. Le bois était très noueux, et j’évitais d’abattre ma hache sur un nœud, pensant que si j’éprouvais une grande difficulté pour fendre la bûche là où elle est tout à fait lisse et tendre, j’en éprouverais beaucoup plus si j’essayais de la fendre au nœud, dur comme une pierre. Mais il m’arriva un jour, par hasard, de mettre la hache au milieu d’un énorme nœud, et à mon grand étonnement, le tronc, comme sous l’influence d’une puissante force de feu, se trouva fendu. J’ai compris alors, que le secret de couper le bois, c’est de frapper au nœud même.

C’est la même chose pour l’État. Les hommes qui comprennent le mal dont souffre l’État essayent de détruire ce mal. Les uns pensent atteindre ce but par les bombes ; les autres rêvent à la création de nouvelles formes d’États ; les troisièmes font des ligues : ligue de la paix, ligue des patriotes, etc. Mais rien de tout cela n’aboutit, parce que toutes ces tentatives frappent leurs coups dans l’entre-nœud. On évite de couper le nœud en quoi réside la puissance du gouvernement et qui est le militarisme. De même que, pour couper la bûche, il faut abattre la hache directement sur le nœud, de même, pour détruire l’État, il faut détruire le militarisme sur lequel il est basé. Et le militarisme ne sera détruit que par ce moyen, qui pourtant paraît à première vue d’une puissance bien restreinte : le refus, par tel ou tel, du service militaire. Peu importe que ce moyen soit imposant ou humble : c’est le seul efficace.

Ce refus satisfait non pas à cette idée qu’il faut modifier l’État, ni en général à des vues extérieures : il satisfait au désir de régler sa propre vie selon la voix de sa conscience, selon la voix de Dieu ; mais, d’ailleurs, en agissant ainsi, en refusant d’être complice du mal et de la violence, on aura aidé à la destruction du mal essentiel.

Par cet acte, seront détruits les obstacles extérieurs et intérieurs qui empêchent les hommes de vivre d’une vie meilleure et plus heureuse, d’une vie que nous tous depuis longtemps attendons et désirons passionnément, celle de la paix et de l’amour.

Pour y arriver, il est nécessaire que les hommes apprécient la dignité humaine à sa valeur, qu’ils sachent qu’ils sont des fils de Dieu, qu’ils comprennent qu’il y a honte et danger pour eux à être les armes aveugles d’autres hommes, caporaux, généraux ou rois.

Dr  Skarvan