Page:La Revue blanche, t20, 1899.djvu/137

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sieurs autres puissances. Donc je parlai de l’affaire Dreyfus à mon camarade. Il ne me cacha point que Guesde avait raison. Il était dreyfusard, comme Guesde, bien meilleur dreyfusard que moi. Mais il me sembla dès ce temps-là que son dreyfusisme était d’une espèce particulièrement redoutable pour Dreyfus. Déjà Dreyfus était pour lui ce qu’il est devenu pour tant de bonnes âmes : l’homme à cause de qui Jules Guesde a eu des ennuis. Et quel dommage que cet homme ait soulevé une affaire aussi malencontreuse ! La Révolution sociale était préparée selon des règles connues ; des mots merveilleux : lutte de classes, conquête des pouvoirs publics, opportunément prononcés, donneraient le moyen de faire la révolution du monde sans faire la profonde éversion des âmes ; le Parti Ouvrier Français, incessamment élargi par un habile mélange de foi autoritaire et de compromissions libérales deviendrait le Parti Socialiste Français, la future humanité française : et voilà que ce capitaine, un bourgeois, est assez mal avisé pour soulever une affaire, non pas une affaire commode, portative, et comme les prophètes les prévoient, mais une affaire comme il n’en était pas arrivé dans l’histoire du monde. Les prophètes n’aiment pas le réel qui passe toute prophétie.

Quand ses délégués, sans doute infidèles, eurent été, comme nous l’avons dit, mal traités par les fidèles au Congrès de Montluçon, le Groupe des Étudiants Collectivistes, qui, depuis plusieurs années, depuis le commencement de la propagande collectiviste publique, pour ainsi dire, au Quartier, réunissait tous les étudiants collectivistes sérieux, travaillant, agissant, qui avait déjà une histoire glorieuse et connue de travail intérieur et de grandes conférences publiques données par les meilleurs conférenciers socialistes français et belges, qui avait par conséquent un nom bien à lui, un nom propre, ne voulant pas devenir complice des trahisons guesdistes, cessa d’adhérer à l’Agglomération Parisienne du Parti Ouvrier Français. Savez-vous ce que fit alors mon ancien camarade, celui dont je vous parle ? Lui qui n’avait jamais fait partie de l’ancien groupe, il s’unit avec plusieurs mécontents de ce groupe et plusieurs guesdistes alors disponibles sur la place de Paris. À eux tous, et ils n’étaient pas bien nombreux, ils fondèrent le Groupe d’Étudiants Collectivistes, adhérent à l’Agglomération Parisienne du Parti Ouvrier Français. Vous saisissez la nuance. Quelques anciens camarades communs s’étonnèrent auprès du jeune guesdiste. N’y avait-il pas là une utilisation qui ressemblait à ce que les simples bourgeois nomment une usurpation, une substitution de nom, une contrefaçon ? Mon ancien camarade ne fut pas embarrassé pour si peu. Le bon guesdiste n’est jamais embarrassé, puisqu’il détient des formules qui contiennent toute la réalité. « Ne sommes-nous pas un groupe ? » répondait mon ancien camarade. « Ne sommes-nous pas des étudiants ? Ne sommes-nous pas collectivistes ? Ne sommes-nous pas à Paris ? Qui peut alors nous empêcher de nous intituler : Groupe d’Étudiants Collectivistes