Page:La Revue blanche, t20, 1899.djvu/425

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comme le capitaine Chanoine, si nous n’avions contre nous que les assassins fils de traître et d’assassin, comme le lieutenant Mercier, le danger serait considérable encore, mais il ne serait pas, à beaucoup près, aussi profond. Mais ces assassins de race ont tout un entourage de complaisances, de complicités. Les officiers fils d’ébénistes et de petites gens donnent leur adhésion respectueuse aux crimes des assassins héréditaires.

La déviation, la subornation est là : Quand les jeunes fils de ces vieux républicains se furent mis en quête, quand ils eurent désiré l’autorité, quand ils eurent commencé la chasse bien intentionnée au pouvoir, à la dignité, au commandement, au mérite, à l’aristocratie, à l’autorité, au gouvernement, ils ne tardèrent pas à s’apercevoir que l’autorité est religieuse, que la religion est seule autorisée, que Dieu est le grand Maître, que le roi est le grand Sous-Maître, que le commandement, que le gouvernement est monarchique, dynastique. Alors que la plupart des monarchistes sont militaristes parce qu’il faut une armée au Roi, ces jeunes fils, devenus militaires, devinrent monarchistes, parce qu’à l’armée il faut un roi, parce que la fameuse hiérarchie qui du caporal remonte au sergent demande une couronne, un couronnement, un chef unique de hiérarchie. Ces jeunes gens devinrent très bien, parlèrent bien, devinrent élégants, mondains, allèrent à la messe, pensèrent bien, rivalisèrent de tenue avec leurs camarades fils de généraux et fils de grands seigneurs.

Le fils de notre ami alla au lycée, prépara Saint-Cyr, fut reçu, entra, sortit sous-lieutenant, choisit une garnison de l’Est, Belfort, devint lieutenant, fut nommé à Verdun. Il avait au commencement de très bons sentiments de vaillance qui peu à peu fléchissaient et se pervertissaient. Il fut mon camarade au lycée. Il vint me voir aux vacances dernières, ayant pris son congé, pendant mes vingt-huit jours. Nous marchâmes ensemble vingt minutes. Nous causions à peine, et ne disions que des paroles indifférentes. L’affaire Dreyfus marchait entre nous deux. Je pensais à son père, désigné au Seize-Mai, marqué sur les listes locales pour le mauvais traitement.

Celui-ci encore était de la ville, d’Orléans même, et les villes sont contaminées par beaucoup d’épidémies. J’ai vu aussi et j’ai mesuré la contamination des campagnes, la déchéance des familles des campagnes. J’avais un ami dont le père était bottier, cordonnier à Beaune-la-Rolande. J’avais connu par eux tout le calme sage et toute la santé de la vie des campagnes, la modestie et la solidité des champs. Le père est toujours calme, sage, modeste, solide et sain. Le fils est allé à l’école primaire : il y fut très bon élève ; à l’école primaire supérieure de Pithiviers : il y fut très bon élève. Il est venu au lycée, où il fut mon ami, boursier, je crois, et un des meilleurs élèves de l’enseignement spécial, ou moderne. Il prépara l’école d’Alfort, y entra dans un bon rang comme boursier militaire. Il y devint