Page:La Revue blanche, t20, 1899.djvu/431

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obscurs ou glorieux, aux hommes de justice et de révolte et non pas aux hommes de gouvernement, à Molière et non pas à Bossuet. L’humanité passée est surtout vénérable par sa longue misère et par son lent effort. Ceux qui lui ont imposé la misère, ceux qui ont contrarié son effort ne sont nullement vénérables.

En particulier les soldats passés et les clercs en ce qu’ils constituaient l’Église passée ne sont pas vénérables du tout. Nous avions gardé de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire un certain respect pour tous ces uniformes. Je veux dire que sur la foi des livres et sur la parole de nos maîtres nous continuions à attribuer aux actes des soldats et des prêtres un coefficient fictif de dignité, comme nous attribuions un coefficient fictif de solennité, de solennelle importance à l’histoire des guerres et des traités dans l’histoire universelle. Une utilité de l’affaire Dreyfus a été justement que nous avons connu par elle tout ce qui peut se cacher de saletés communes et de laideurs vulgaires sous les uniformes et derrière les masques. Nous avons alors fait la rectification nécessaire. Puis transportant dans le passé la rectification du présent que nous avions ainsi obtenue, nous avons supprimé le coefficient fictif, nous avons dépouillé la solennité fictive ; mille indices inaperçus nous sont revenus à la mémoire ; nous avons découvert, nous avons retrouvé, nous avons rétabli toutes les saletés communes et toutes les vulgaires laideurs des soldats historiques, des grands capitaines, et de l’Église historique. Le Tartufe ne nous est plus apparu comme une œuvre accidentelle, mais comme l’expression la plus profonde, la plus habituelle de toute une autorité passée, présente encore, et malheureusement future.

M. Lavisse n’a pas seulement réconcilié les adversaires qu’il avait mis en présence ; il a réconcilié même les manières de réconcilier. Il compte pour la réconciliation sur la propagande et sur la culture ; il propose des réformes ; il prévoit que, si l’on sépare l’Église de l’État, « en face des chaires et des écoles de l’Église, la concurrence contraindra l’État à vivifier les écoles publiques, dont l’action sera centuplée dès qu’on le voudra. » Mais il compte aussi, et même il compte surtout et presque uniquement sur le jeu automatique des intérêts : « Ce… serait une (chimère) en effet, si nous supposions que le miracle s’accomplira par notre sagesse, par notre volonté raisonnée, par notre générosité. Mais ce n’est point en nos vertus qu’il faut mettre notre espérance ; c’est en la force des choses. » Voilà qui peut plaire à certains partisans du matérialisme et du déterminisme économique. Le malheur est que ces partisans prévoient en général une paix internationale, tandis que M. Lavisse prévoit des malheurs : « … d’autres crises viendront, peut-être des coups de réaction, peut-être des coups de révolution, et encore des vilenies et des laideurs — vilenies et laideurs sont des maux constitutionnels dans l’histoire des hommes — ». Il y aura la guerre : « Respectée de tous, unie en elle-mème, unie à la nation, (l’armée) attendra l’heure où