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LE BAROMÈTRE DE MARTIN-MARTIN


Monsieur le Préfet


De « la Localité ».

M. le Préfet Benoîton.

M. le Préfet est parti pour Paris, hier soir, par l’express de 10 h. 40.

Un de nos amis, qui s’occupe de statistique à ses moments perdus, veut bien nous communiquer la curieuse information suivante : depuis onze mois que nous avons la bonne fortune d’être administrés par M. Jambey du Carnage, c’est la vingt-troisième fois que la Localité a mission de faire connaître à ses lecteurs le départ de M. le Préfet par l’express de 10 h. 40.

Il va sans dire que, personnellement, nous ne voyons aucun inconvénient à ce que M. le Préfet aille prendre l’air du boulevard, et la présence de sa redingote et de son haut-de-forme dans les rues de La Marche, ne saurait manquer à notre bonheur.

Nous ne pouvons cependant nous empêcher de trouver étrange la façon d’administrer de ce surprenant fonctionnaire, et tout en comprenant fort bien que la besogne qu’il fait ici n’ait rien de particulièrement attachant, nous nous demandons si l’État, avec l’argent des contribuables, paie aussi grassement Messieurs les Préfets, uniquement pour qu’ils se promènent en chemin de fer, où ils ont d’ailleurs le transport gratuit.

Il nous semblait que la place d’un administrateur soucieux de ses devoirs et de sa dignité, était dans son cabinet, comme le pilote à son gouvernail, contrôlant avec un soin constant et jaloux la gestion des finances départementales, stimulant ses agents, conseillant ses chefs de service, sage économe des deniers dont il a la charge, gardien scrupuleux et éclairé de la légalité.

Il paraît que nous nous trompons. Ce « tuteur des communes », comme la loi l’appelle, est un tuteur complaisant, qui n’aime pas ennuyer ses pupilles, et se plaît à les surveiller de loin ; M. le Préfet n’est là que pour présider aux tripotages et aux gaspillages électoraux ; la comédie finie, bonsoir ! Les maires peuvent venir du fond du département, faire des lieues et des lieues en patache ou en carriole, pour heurter l’huis préfectoral : — Monsieur le Préfet est parti à Paris par l’express de 10 h. 40 !

Au reste, et bien que nous n’ayons pas l’honneur de ses confidences, nous croyons savoir que le voyage actuel de Monsieur le Préfet n’est pas un simple voyage d’agrément. Il n’y a pas besoin, en effet, d’être grand clerc pour s’apercevoir que M. Jambey du Carnage a hâte de quitter le Plateau-Central, où, s’étant fait l’homme-lige de Martin-Martin, il se trouve compromis à fond dans une politique,