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Les Silènes

[Grabbe Christian-Dietrich, né et mort à Dettmold (1801-1836), le plus grand poète de l’Allemagne, dit-on, depuis la mort de Schiller. Mal connu en France, les dictionnaires citent ses tragédies : le Duc de Gothland, Marius et Sylla, Don Juan et Faust, les Hohenstaufen (Frédéric Barberousse et Henri IV), Napoléon ou les Cent Jours, Annibal, la bataille d’Arminius, — et ne mentionnent pas sa comédie satirique, célèbre encore, que nous avons traduite et dont nous ne donnons que des scènes détachées, les allusions perpétuelles aux littérateurs du temps la faisant peu compréhensible sans un long commentaire. Le titre de cette pièce en trois actes est Scherz, Satire, Ironie und tiefere Bedeutung (Plaisanterie, satire, ironie et signification profonde). Rabelais en a préparé la translation plus concise : « Silènes estoient jadis petites boîtes… » — A, J. ]


LES SILÈNES

Clair et chaud jour d’été


Le Diable est assis sur un tertre et gèle.

Le Diable. — Fait froid — froid — en enfer il fait plus chaud ! — Ma satirique grand-mère m’a, à la vérité, — sept étant le plus fréquent nombre de la Bible — mis sept petites chemises de fourrure, sept petits manteaux de fourrure et sept petites casquettes de fourrure — mais fait froid — froid ! Dieu m’emporte, il fait très froid ! Si je pouvais seulement voler du bois ou allumer une forêt — allumer une forêt ! Tous les anges ! serait tout de même drôle, si le diable devait périr gelé ! — Voler bois — allumer forêt — allumer — voler

(Il gèle.)


Un Naturaliste entre, botanisant.

Le Naturaliste. — Vraiment, il se trouve dans cette contrée de rares végétaux ; Linné, Jussieu — Seigneur Christ, qui est couché ici sur la terre ? Un homme mort, et, comme on le voit clairement, gelé ! Eh bien, c’est tout de même étonnant ! Un miracle, s’il y avait ce qu’on pût appeler des miracles ! Nous sommes aujourd’hui le 2 août, le soleil est flambant au ciel, c’est le jour le plus chaud que j’aie vécu, et cet homme ose, a le toupet, contre toutes les règles et observations des hommes sages, de geler ! — Non, c’est impossible, absolument impossible ! Je vais mettre mes lunettes !

(Il met ses lunettes.)

Étonnant, étonnant ! J’ai mis mes lunettes, et le gaillard n’en est pas moins gelé ! Au plus haut point étonnant ! Je vais le porter à mes collègues !

(Il empoigne le Diable par le collet et l’entraîne avec soi.)