Page:La Revue blanche, t21, 1900.djvu/31

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devant tant d’audace, de sa bouche encore collante de raspail, là, près du cou, il l’embrassait.

— En tout bien tout honneur, Mademoiselle Clotilde ! ajoutait-il… Simplement afin de vous faire plaisir ; et parce qu’en ce beau jour d’aujourd’hui, un baiser d’homme porte bonheur aux demoiselles à marier !

Suffoquée du toupet, elle avait pourtant trouvé la force de se regimber et de lui répondre d’un ton sec :

— Merci de votre obligeance, Monsieur le concierge… Mais vous feriez mieux de frotter votre escalier !

Il la quittait tout penaud.

Maintenant, en y réfléchissant, et après avoir été sur le point de s’en formaliser, elle se tordait… Vraiment ce demeurait incroyable !… invraisemblable !… Il n’y avait qu’elle à qui cela arrivât !… Déjà le facteur des imprimés avait manqué de l’embrasser la veille !… L’homme du gaz l’avant-veille !… Et puis c’était l’inspecteur de l’enseignement primaire qui se permettait des privautés !

— Singulières mœurs ! fit Mme Bidoure pinçant ses lèvres gercées.

Et tandis que son époux opinait gravement de la tête, elle conduisit Clotilde dans le salon afin de lui montrer d’autres caoutchoucs, dracenas et cactus, que quelques inférieurs, protégés de la famille, étaient venus lui offrir les jours précédents.

— Restes-en là de tes histoires, ma fille !… lui dit-elle tout à coup, tout bas, entre deux pots… Ça pourrait donner des idées à mes enfants !

— Mais ma tante, je ne vois pas ce qu’il y a de mal là-dedans !

— Tu m’entends !… reprit Mme Bidoure d’un ton plus accentué… Restes-en là !

— Tu entends ta tante !… grommela à son tour la voix de M. Bidoure. juste au-dessus de l’endroit d’où, feignant de regarder aussi les plantes vertes, il les observait.


Néanmoins on la garda à déjeuner.

C’était de tradition.

D’ailleurs, aussitôt terminé, on l’expédia, car, malgré qu’elle fut de la famille du côté de Monsieur, elle était réellement par trop Bignard et pas assez Bidoure, pour aller rendre visite à toutes les vieilles dames seules, aux anciens colonels, ingénieurs en retraite et magistrats, qui constituaient la lignée des Duseigneur-Bertinet, du côté de Madame.

On commanda à Anna, la femme de chambre, d’aller quérir un quatre places à l’heure au plus tôt. Widmer, de plus en plus excité et gémissant à fendre l’âme les Dragons de Villars à travers la cour de l’immeuble, étant désormais incapable de s’y rendre.

Dès qu’Anna en eut apporté le numéro l’on descendit ; et déjà l’on pouvait contempler les deux petits chevaux gris couverts