Page:La Revue blanche, t21, 1900.djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elle parla aussi des jouets de l’année. De la nouvelle question mexicaine, deux anneaux qu’elle n’avait pu encore arriver à séparer. Du joli ouistiti qui monte tout seul à un palmier, sans qu’on se doute du ressort qui le pousse, afin d’en manger les dattes. De la petite poupée nageuse surtout, plus belle que toutes les poupées nageuses inventées périodiquement, et qui montrait toutes les apparences de la chair elle-même dans l’eau où elle évoluait.

Puis, sans transition, elle revenait à la note sentimentale.

— Prenez donc de ces gaufrettes… Vous me ferez plaisir… J’ai tant aimé ceux que vous avez perdus !

Elle se réextasiait sur la superbe cigogne en peluche.

— Ah ! la superbe cigogne en peluche !… Si ce pauvre M. Duseigneur était ici !

À peine les Bidoure purent-ils placer au départ leurs « bonne année », leurs « bonne santé » et leurs baisers ; et, comme ils avaient perdu un grand temps à écouter cette tante prolixe, et que déjà le jour tombait sur les joies parisiennes du premier de l’an, ils furent bien forcés de remettre au lendemain leurs visites à plusieurs de leurs alliés, l’intendant Bertinet qui demeure au Val-de-Grâce, le juge Brustalot qui loge au Gros-Caillou, et toute la smala des Duseigneur-Coquet qui habite le Panthéon. Les vieux et chers amis Rifide, du haut de la butte Montmartre, rue Lepic, composés de quatre générations, toutes vivantes, et qui devaient attendre les visiteurs au grand complet de ces quatre générations, durent être eux-mêmes négligés.


On se borna ce soir-là à rendre visite à la cousine de la Bouillardère, rue de Châteaudun, qui est un peu marquise, et dans les salons de laquelle on a toujours chance de rencontrer des gens distingués.

— Bonjour ma cousine… Bonjour ma cousine… dirent les Bidoure en entrant chez elle… Tous nos vœux, n’est-ce pas, tous nos vœux !

Il y avait une réception tout à fait bien. Et, en dépit de la multitude de ses visiteurs, Mme de la Bouillardère se montra spécialement charmante à leur égard, et découvrit même le moyen, après l’offre des chocolats ou marrons glacés obligés et les banalités courantes, d’expliquer à Mme Bidoure comme quoi elles se trouvaient toutes les deux cousines,… à peine au cinquième ou au sixième degré !…

Le bisaïeul du grand-père maternel de Mme de la Bouillardère était un Duseigneur qui vivait sous le règne de Louis XV. Il avait eu une fille, Hermance Duseigneur, qui avait épousé un pâtre, un Gerbaulet qui gardait les vaches dans les champs. C’était là l’origine de la branche franc-comtoise de leur race. De cette mésalliance naquit le fameux Coco Gerbaulet, membre du tribunal révolutionnaire de Vesoul, et qui, comme les Carrier et les Joseph Lebon, se signala par ses excès. Le fils adultérin de celui-ci, Just Gerbaulet, que Coco reconnut à son lit de mort, fut, lui, un magistrat intègre, et