Page:La Revue blanche, t21, 1900.djvu/443

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églises ; les sociétés de paix, dans leurs réunions ; les écrivains, dans les livres et dans les journaux, et les représentants des gouvernements dans leurs discours, toasts et déclarations de toutes sortes ; tous parlent et écrivent pour la paix, mais personne n’y croit et ne peut y croire, parce que les mêmes prêtres et pasteurs qui aujourd’hui prêchent contre la guerre, demain béniront les drapeaux et les canons, féliciteront les troupes, et glorifieront leurs chefs. Les membres des sociétés de la paix, leurs orateurs, ceux qui écrivent contre la guerre, dès que viendra leur tour, se replaceront tranquillement sous les drapeaux, prêts à l’assassinat. Les empereurs et les rois qui, hier, déclaraient bruyamment ne penser qu’à la paix, le jour suivant exercent leurs troupes à l’assassinat et s’enorgueillissent l’un devant l’autre de leurs régiments armés pour le meurtre ; c’est pourquoi, parmi ce mensonge général, la voix nette des hommes qui, voulant la paix, témoignent de leur amour pour elle non seulement par des paroles mais encore par des actes, ne peut pas ne pas être entendue. Ces hommes disent : « Nous sommes chrétiens, c’est pourquoi nous ne pouvons consentir à être des assassins ; vous pouvez nous tuer, nous martyriser ; nous persisterons à ne pas être des meurtriers, parce que le meurtre est contraire à ce même christianisme que vous professez. »

Ces paroles sont très simples, et bien qu’elles ne soient pas neuves et qu’il semble superflu de les répéter, ces paroles, cependant, dites dans notre temps et dans les conditions où se trouvent les doukhobors, ont une grande importance : elles montrent une fois de plus au monde le moyen simple, indiscutable, unique de rétablir la vraie paix. Il y a longtemps que ce moyen a été donné par Christ, mais les hommes s’évertuent à en chercher d’autres, feignant d’avoir oublié celui-là, — qui consiste tout simplement à ne pas faire ce que nous trouvons honteux, à n’être pas les esclaves soumis des professionnels de l’assassinat.

Mais, outre qu’il est simple, ce moyen a encore pour lui d’être indiscutablement efficace. Toutes les méthodes « pacifiques » sont incertaines, — toutes sauf celle qui consiste, pour un chrétien, à déclarer, ce dont personne n’a jamais douté, qu’il n’est pas licite à un chrétien d’être un assassin. Il faut que le chrétien prenne conscience d’une vérité qu’il ne peut pas méconnaître et alors existera entre les chrétiens la paix éternelle et inviolable.

Tant que les chrétiens reconnaîtront la possibilité de prendre part au service militaire, il y aura des armées soumises à la puissance des gouvernements, et s’il y a des armées soumises aux gouvernements, il y aura des guerres. Je sais que ce moyen date de bien loin, qu’il fut employé par ces anciens chrétiens, que les Romains, pour ce motif, persécutèrent, par les quakers, les ménonites, les nazaréens, mais il ne le fut jamais si fréquemment et surtout si consciencieusement que maintenant en Autriche, en Prusse, en Suisse et en Hollande, où, même dans les églises, les pasteurs prêchent le refus du service militaire, et en Russie où, malgré ruses, perfidies et cruautés, le gouvernement ne put briser la décision du petit nombre d’hommes qui vivent de la vie chrétienne.

Dire que ce moyen n’est pas efficace en arguant que, depuis si longtemps qu’on l’emploie, la guerre existe encore, c’est comme si l’on disait qu’au printemps le soleil est sans action parce que toute la terre n’est pas encore dégelée et que les fleurs ne sont pas encore épanouies.

Il est vrai qu’en Autriche les nazaréens sont en prison, que d’autres, pour avoir refusé le service militaire, sont incorporés aux bataillons disciplinaires, et que ces mêmes doukhobors sont en prison, tandis que leurs