Page:La Revue blanche, t21, 1900.djvu/463

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De longues files de chameaux surchargés
S’avancent vers toi le cou baissé.
Ils ont traversé le désert immense,
Ils ont connu la soif intense
Et maintenant ils entrent lentement
Dans la ville où l’on souffre longuement.

Tu es gardée par de hautes murailles
Qui semblent vouloir livrer bataille
Contre tout ce qui s’approche de toi vivant.
Contre tout ce qui n’est pas ton propre néant,
Contre tout ce qui pourrait alléger les tourments
De la ville où l’on souffre longuement.

Ailleurs tu es cernée d’eaux stagnantes
Qui reflètent vaguement tes tours menaçantes
Et d’où s’élève l’odeur nauséabonde
De toute cette grande ville moribonde.
Tes alentours sont couverts d’ossements
De bêtes qui ont souffert longuement.

Autour de toi se jouent de blafardes lumières
À travers des tourbillons de poussière
Qui révèlent pour un instant soudain
Quelque être loqueteux à peine humain.
Être empreint de ce morne accablement
De ceux qui ont souffert longuement.

À tes portes on voit de noirs pourceaux
Et de misérables mendiants en lambeaux
Tous atteints de maladie mortelle,
Tous étalant une plaie cruelle.
Grelottant, agités par des tremblements,
Geignant qu’ils ont souffert longuement.

Sous la voûte de tes portes sombres
S’engloutissent toutes ces pâles ombres
Pour augmenter encore les exhalaisons
Qui flottent sur la grande ville-prison,
Pour augmenter encore le grouillement
De ceux qui doivent souffrir longuement.

Tes rues sont pleines d’êtres en guenilles
Aux faces hébétées d’humains gorilles
Et dans ta fange des femmes accroupies
Cherchent quelques viandes pourries
Pour tronquer leur faim avidement.
Pour souffrir un peu plus longuement.