Page:La Revue blanche, t21, 1900.djvu/59

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mée sans doute, émue par la gravité des fiançailles. Elle promise à un autre, lui voué à la prêtrise, ils allaient être comme étrangers l’un à l’autre ; et ce serait mieux ainsi.

L’abbé Resongle, chemin faisant, initiait le séminariste aux changements, aux nouvelles habitudes de la maison :

— Tous les jours en tenue, mon garçon, comme chez Monseigneur. Regarde ! (Il montrait les gants noirs, les gants de filoselle, dont s’étonnaient ses mains de jardinier et de pêcheur à la ligne ; il indiquait d’un étirement désespéré de son cou un peu court la servitude du rabat.) Il ne manque plus que les boucles d’argent aux souliers et le manteau de cérémonie, ajoutait-il. Et ça viendra peut-être. Ah ! elle ne plaisante pas avec l’étiquette, notre petite dauphine ! Heureusement, il y a des compensations. La cuisine ! Des menus à tout casser, en double majeur, comme dit l’Ordo. Des truffes à toutes les sauces, des primeurs ; tu verras ! Cette Thérèse me confond. Tu sais l’estime que j’ai toujours eue pour son talent ; un don de Dieu, mon ami, un véritable don ! Personne comme elle pour rôtir un lièvre à point. Et ses croustades aux cailles, tu te les rappelles ? et ses soufflés à la vanille ! Mais c’était du vieux jeu, tout cela. Maintenant il lui faut inventer du nouveau chaque jour. Je ne sais pas comment sa tête peut y tenir. Et nos estomacs, donc ! M. Souège de Favaron lui-même, le futur beau-père, un homme du monde, un coup de fourchette si majestueux qu’il n’en finit jamais de mettre les morceaux à la bouche… eh bien, mon cher, il n’en pouvait plus, l’autre soir ; il était rouge comme un coq ; on aurait dit qu’il allait éclater… Mais, j’y pense, s’interrompait le brave homme, tu ne les connais pas, ces Souège de Favaron ? De Favaron ? répétait-il en hochant la tête ; ils ne le sont que depuis hier ; mais qu’importe ? Ce sont de bons chrétiens ; voilà l’essentiel ; et des gens bien posés. Monsieur s’est fait recevoir au Cercle de l’Union à Toulouse, il est vice-président du sous-comité royaliste de Villefranche ; Madame quête pour toutes les bonnes œuvres. Que pourrait-on leur demander de plus ?

— Et le fiancé ? interrogeait Gilbert.

— Adrien ? Un bon garçon. Il n’a pas inventé la poudre, mais il s’en sert si bien ! Un grand chasseur comme feu Mériel, un homme de cheval ; des succès au stand, des flots de rubans à l’hippique. On dit qu’il a raté le bachot ; et après ? Notre petit