Page:La Revue blanche, t21, 1900.djvu/82

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travers laquelle passe un souffle divin, fait songer à ce vers de Dante :

Una melodia dolce correva per l’aer luminoso.

Combien ces Champs-Élysées lumineux, où les ombres heureuses se cherchent, s’appellent, pour se grouper et voltiger ensemble par les bois odoriférants et les prairies en fleurs, sont différents des sombres Champs-Élysées d’Homère, perdus dans la nuit cimmérienne, dont Achille, regrettant la vie, foule de son pied de héros les froides touffes d’asphodèles ! Il y aurait encore nombre de beautés à signaler dans le quatrième acte, où Gluck s’éleva au faîte de l’expression dramatique ; je ne veux pas insister davantage.

M. Albert Carré, je prends plaisir à le répéter, a enrichi le vieux chef-d’œuvre d’une mise en scène d’un goût rare, qui en fait ressortir magnifiquement les splendeurs. C’est de l’art vrai et du plus beau. Ces pleureuses, couvertes de voiles violets, bruns et gris, portant des flammes, rangées silencieusement autour du tombeau d’Eurydice, dans les tristesses d’un bois environné de nuit ; ce décor de l’Enfer dans lequel grouillent et rampent des larves, plein de rumeurs et d’effroi, où surgit Orphée baigné de lumière, et, progressivement, la prière du chantre antique ayant raison des violences et des résistances rageuses des monstres de l’Erèbe : la lumière chassant la nuit ; ces Champs-Élysées d’une ineffable grâce, sortis de la rêverie souveraine de Puvis de Chavannes : — de pareils tableaux, d’un contraste voulu, laissent dans l’esprit une impression inoubliable.

Mlle Gerville est beaucoup trop inexpérimentée pour se mesurer avec un personnage aussi écrasant, aussi dominant que le personnage d’Orphée. Elle a une voix pas trop homogène, de médium faible, et elle ne manque pas d’intelligence. Mme Bréjean-Gravière ne se doute pas du rôle d’Eurydice. Et l’exécution orchestrale est vraiment supérieure.

André Corneau