Page:La Revue blanche, t21, 1900.djvu/95

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comme femme de chambre ? Le charme, si particulier, que nous exerçons sur les hommes, ne tient pas, seulement, à nous, si jolies que nous puissions être… Il tient beaucoup, je m’en rends compte, au milieu où nous vivons… au luxe, au vice ambiant, à nos maîtresses elles-mêmes et au désir qu’elles excitent !… En nous aimant, c’est un peu d’elles et beaucoup de leur mystère, que les hommes aiment en nous…

Mais il y a autre chose… En dépit de mon existence désordonnée, j’ai, par bonheur, gardé en moi, au fond de moi, un sentiment religieux très sincère, qui me préserve des chutes définitives et me retient au bord des pires abîmes… Ah ! si l’on n’avait pas la religion, la prière, dans les églises, les soirs de morne purée et de détresse morale, si l’on n’avait pas la sainte Vierge, et saint Antoine de Padoue, et tout le bataclan, on serait bien plus malheureuse, ça c’est sûr !… Et ce qu’on deviendrait, et jusqu’où l’on irait, le diable seul le sait !…

Enfin — et ceci est plus grave — je n’ai pas la moindre défense contre les hommes… Je serais la constante victime de mon désintéressement, et de leur plaisir… Je suis trop amoureuse, oui, j’aime trop l’amour, pour tirer un profit quelconque de l’amour… C’est plus fort que moi, je ne puis pas demander d’argent à qui me donne du bonheur et m’entrouvre les rayonnantes portes de l’extase !… Quand ils me parlent, ces monstres-là… et que je sens sur ma nuque le piquant de leur barbe et la chaleur de leur haleine… va te promener ! je ne suis plus qu’une chiffe… et c’est eux, au contraire, qui ont de moi tout ce qu’ils veulent !…


Donc, me voilà au Prieuré, en attendant quoi ?… Ma foi, je n’en sais rien. Le plus sage serait de n’y point songer et de laisser aller les choses, au petit bonheur… C’est, peut-être ainsi qu’elles vont le mieux… Pourvu que, demain, sur un mot de Madame, et poursuivie jusqu’ici par cette impitoyable malchance qui ne me quitte jamais, je ne sois pas forcée, une fois de plus, de lâcher la baraque ! Cela m’ennuierait… Depuis quelque temps, j’ai des douleurs aux reins et au ventre, une lassitude dans tout le corps… mon estomac se délabre, ma mémoire s’affaiblit… je deviens, de plus en plus, irritable et nerveuse. Tout à l’heure, me regardant dans la glace, je me suis trouvé le visage vraiment fatigué, et le teint — ce teint ambré dont j’étais si fière — presque couleur de cendre… Est-ce que je vieillirais déjà ?… je ne veux pas vieillir encore… À Paris, il est difficile de se soigner. On n’a le temps de rien. La vie y est trop fiévreuse, trop tumultueuse… on y est, sans cesse, en contact avec trop de gens, trop de choses, trop de plaisirs, trop d’imprévu !… Il faut aller quand même !… Ici, c’est calme !… Et quel silence !… L’air qu’on respire doit être sain et bon… Ah ! si, au risque de m’embêter, je pouvais me reposer un peu !…