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À propos de la traduction de « Résurrection »



DEUX LETTRES


I
À M. le Directeur de La revue blanche


Monsieur,

Un de vos collaborateurs a pris la peine de relever et de citer un à un tous les passages de ma traduction de Résurrection qui ne sont pas absolument conformes au texte russe, et tous les passages du texte russe que j’ai omis ou abrégés dans ma traduction. C’est là un travail qui fait honneur à sa patience, et qui n’a, par ailleurs, rien pour m’affliger : car jamais je n’ai prétendu que ma traduction fût parfaite, et j’ai toujours donné à entendre qu’une traduction trop littérale était pour moi une mauvaise traduction. Aussi me garderais-je de répondre à votre collaborateur si celui-ci n’avait mis en cause, dans son article, la direction de l’Écho de Paris, où j’ai fait paraître en feuilleton une traduction du roman du comte Tolstoï. Et comme le malheur a voulu que toutes ses observations se rapportant à l’Écho de Paris fussent complètement inexactes, je ne puis m’empêcher de protester contre elles.

Votre collaborateur se trompe, d’abord, quand il croit que la direction de l’Écho de Paris a exigé de M. Tchertkof que la traduction du roman me fût confiée. J’ai entrepris cette traduction sur la demande expresse d’un des fils du comte Tolstoï, et je l’ai acceptée qu’après m’y être longtemps refusé, n’étant traducteur ni par goût ni par métier. J’ai ensuite, toujours sur la demande du comte Tolstoï, offert le roman (avant d’en avoir le manuscrit) à plusieurs journaux qui n’ont pas cru devoir l’accepter. Seul l’Écho de Paris a tout de suite consenti aux conditions exigées par les représentants de l’auteur. Vous voyez, Monsieur, que le « nationalisme » de ce journal, ni mon « catholicisme », n’ont joué aucun rôle dans toute cette affaire.

Et, comme je m’étais engagé à traduire d’abord le roman pour le compte de l’auteur, je ne me suis pas jugé libre de rien couper du texte pour la publication dans l’Écho de Paris. De sorte que tous les chapitres « anticatholiques » ou « antimilitaristes » que votre collaborateur reproche à l’Écho de Paris d’avoir supprimés (et que j’ai supprimés plus tard dans le volume, par crainte d’allonger et d’alourdir le roman), tous ces chapitres ont paru dans le feuilleton de l’Écho de Paris : j’y ai fait paraître tout au long les deux chapitres de la messe, et l’épisode des enfants assistant au départ du convoi, et aussi, sauf erreur, le passage relatif au séjour de Nekhludov dans la garde impériale. Je n’ai absolument omis que le chapitre où est racontée la visite faite par Nekhludov à un directeur des cultes : et ce n’est point mon « catholicisme » qui m’a décidé à l’omettre, mais la crainte que ce chapitre, d’ailleurs bien inoffensif, ne fît que trop l’effet d’un hors-d’œuvre arrêtant l’action.

Enfin votre collaborateur se trompe quand il reproche à l’Écho de Paris d’avoir accepté une traduction inexacte : ou plutôt il se trompe dans les preuves