Après s’être longtemps escrimés de la sorte, nos serviteurs ont fini par acheter le nécessaire pour le déjeuner. Nous n’avons donc qu’à les suivre aux cuisines et à les voir préparer le menu.
À coup sûr, votre exclamation première va être : « Qu’elle est enfumée ! Oh ! c’est étouffant ! Ah ! que je sorte ! » Certes cette cuisine n’est pas claire et propre comme le sont d’habitude les cuisines d’Amérique. La fumée ne peut sortir par la cheminée : elle monte jusqu’au ciel ouvert et s’échappe par tous les interstices. On comprend alors que les murailles soient noires de l’accumulation d’années de suie.
Dans l’encoignure, un grand fourneau construit de briques, d’où la fumée sort par derrière et ondoie jusqu’au ciel ouvert béant. Au-dessus de ce fourneau s’étale une grande et ronde marmite de fer de trois pieds de diamètre. C’est là dedans que cuit le riz. Comme la paille est à vil prix, c’est de la paille qu’on y brûle en guise de bois et un domestique est chargé d’entretenir le feu sans discontinuer.
Vous vous tournez à gauche. Là vous voyez de petits poêles d’argile sur lesquels, sur un feu de bois, la nourriture se frit dans des poêlons ou bout dans des pots de terre.
La grand-mère et ses filles surveillent toutes ces préparations. On coupe en menus morceaux les légumes et on les fait cuire avec du porc et du mouton en une sorte de pot au feu. On fait bouillir des herbes. Le poisson est cuit en ragoût ou à l’étuvée, ou frit avec ou sans légumes. La viande est coupée menu. Quand la marmite est en ébullition, on y met le lard, puis soit des morceaux d’oignon, soit des languettes de viande, et le tout est remué jusqu’à ce que cela fasse une bouillie. D’autres fois, on y ajoute des navets, des pommes de terre et d’autres légumes, on y verse de l’eau bouillante et on laisse le tout mijoter et bouilloter.
Tous les mets, on le voit, sont coupés menu avant la cuisson ou tout au moins avant d’être servis. Cela tient à ce que l’on ne se sert ni de couteaux ni de fourchettes.
À dix heures, les tables sont servies, celles des hommes dans les ailes ou dans leurs chambres, celles des femmes dans leur salon commun ou parloir. À chaque table huit personnes peuvent prendre place.
On n’a pas de nappe. Des bâtonnets et des cuillers sont placés devant chaque convive.
On sert les mets dans de grands bols ou de larges assiettes.
Le riz seul est dans une écuelle de bois ou dans un panier d’osier : on le mangera dans de petites soucoupes.
Les domestiques appellent au déjeuner toutes les personnes de la maison, mais la jeunesse n’oserait prendre place avant que les aînés ne soient assis. Ensuite, elle fait mine de demander la permission de manger ; quand les aînés, d’une grave inclinaison de tête, ont donné leur assentiment, le déjeuner commence.
On débute par la soupe. Chaque convive tient le bâtonnet de la