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Page:La Revue blanche, t23, 1900.djvu/442

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Lettre aux Doukhobors
émigrés au Canada


Mes chers frères et sœurs,

Nous tous, qui professons la doctrine chrétienne et qui voulons tenir notre vie en accord avec elle, avons besoin de nous entr’aider : or, la façon la plus efficace de s’entr’aider, c’est de se montrer l’un à l’autre les péchés et les erreurs dans quoi nous tombons sans nous en apercevoir nous-mêmes. Moi qui demande à mes frères de me prévenir contre les péchés et les séductions auxquels je pourrais céder, je crois de mon devoir, mes chers frères et sœurs, de vous montrer la séduction à laquelle succombent, ai-je appris, quelques-uns d’entre nous.

Vous avez souffert, vous avez été expulsés, et maintenant encore vous êtes en proie à la misère parce que vous avez voulu professer la foi chrétienne, non pas en paroles, mais en fait. Vous avez renoncé à toute violence envers votre prochain. Vous avez refusé le serment ; vous avez même brûlé vos armes afin de n’être pas tentés de vous en servir pour votre défense, et, malgré la persécution, vous êtes restés fidèles à la doctrine chrétienne. Vos actes sont connus de tous les hommes, et les ennemis de la doctrine chrétienne en ont été confondus et ils vous ont enfermés, déportés ou expulsés, en s’efforçant, vainement, de cacher vos actes aux autres hommes. Les hommes honnêtes se sont réjouis. Ils vous ont glorifiés en essayant de suivre votre exemple. Ce que vous avez fait a beaucoup contribué à la destruction du mal et à la confirmation des hommes dans la vérité. Maintenant, j’apprends par des lettres de nos amis que la vie de beaucoup d’entre vous, au Canada, est telle, que les amis de la doctrine chrétienne en sont troublés, tandis que ses ennemis se réjouissent et triomphent. « Vous le voyez ! disent maintenant les ennemis du Christ, dès que vos doukhobors ont été installés au Canada, dans un pays libre, ils ont commencé à vivre comme tous les hommes : ils amassent des biens, chacun pour soi, et non seulement ils ne les partagent pas avec leurs frères, mais ils s’efforcent de les accroître avarement. Ainsi, la preuve est faite : tout ce qu’ils ont fait avant, ils l’ont fait sur l’ordre de leurs chefs, sans comprendre eux-mêmes pourquoi. »

Mes chers frères et sœurs, je sais et je comprends la difficulté de votre situation en pays étranger, parmi les étrangers qui ne donnent rien à personne sans argent ; je sais aussi combien il est difficile de s’imaginer que le prochain puisse avoir besoin de quelque chose ; je sais aussi qu’il est difficile de vivre en communauté et combien il est pénible de travailler pour ceux qui dépensent sans scrupule le pro-