Page:La Revue blanche, t23, 1900.djvu/599

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écossais. Il devenait réformateur du système pénitentiaire comme feu M. Moreau-Christophe, directeur de prison et traducteur du Voyage sentimental de Laurence Sterne.

Mais sa mélancolie persistait : il portait malheur à ces jeunes acolytes qui lui étaient enlevés, un à un, par une farouche logeuse : la Santé. Et, dans son dandysme antisémitique et son flair de reporter, M. Rowland Strong lui amena cette vedette, le comte Walsin-Esterhazy.

Il faudrait la plume de Voltaire, si son Candide était plus sincère, pour retracer les dîners et les symposes de M. Wilde et de celui qu’il appelait avec une tendre ironie et quelque admiration « Le Commandant ». La solitude d’un Nogent et d’un Montigny, un printemps timide, une eau innocente coupés tout à coup, déchirés des intonations du comte scandant par cœur, à toute volée, les Trois Contes de Flaubert et s’arrêtant amoureusement, égoïstement sur la Légende de Saint-Julien l’Hospitalier, puis dans un dialogue d’enfer, Esterhazy disant à Wilde : « Nous sommes les deux plus grands martyrs de l’humanité, mais (après une hésitation et un silence) moi, j’ai plus souffert », c’est plus grand que du Dante — et c’est plus loin dans les siècles.

Il était dans la destinée du comte Walsin de trahir Wilde devant la cour de cassation pour punir M. R. Strong d’un lâchage personnel. Et M. Wilde fut privé d’un ami.

Il avait les dévouements et les visites espacées de MM. Ross, Turner, Sibleigh, Smyders, Gunnar Heiberg et Thaulow. Il avait, il y a deux ans, échangé des conversations de café, des mots et des rires avec Henry Becque qui mourut, avec notre Moréas, avec La Tailhède, H. de Groux, F. Boutet. Il avait la constante amitié de l’extraordinaire Frank Harris, des Stuart Merrill, Paul Fort, Davray, A. E. Brunot, Jean de Mitty. Il donnait des idées à des jeunes gens qui retournèrent dans leur province. Il se prodiguait dans ses conversations : c’était pour s’étourdir, je pense. Il cherchait des élèves pour trouver en eux une raison de se retrouver, pour se voir revivre et renaître et pour ne point songer à des plagiaires ingrats. Là aussi, il eut des mécomptes. Tel peintre américain qu’il emmena à Nogent n’en repartit point sans en emporter, reliques prématurées, des brosses à manche d’argent et des pièces d’or à effigie commune. Notons aussi que, dans sa rage de « tapage », M. Karl fit verser à l’infortuné Oscar Wilde une souscription de vingt francs pour un exemplaire qu’il ne reçut jamais. Ce sont là jeux de prince, les jeux qu’on