Page:La Revue blanche, t23, 1900.djvu/64

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la danse, de même qu’avaient battu l’air les talons, dont l’ivresse croyait continuer les gestes de vendange.


Il y eut un frémissement entre les pampres, comme un éléphant se frayant passage au moyen de son proboscide noir, couche de gauche et de droite ses herbes d’Asie, qui sont de hauts arbres ; et un nègre éthiopien, nu comme la poix, bondit en avant, à la suite et dans la direction de son geste d’égipan.

Ses mains étaient liées derrière sa tête, et ses coudes lui figuraient de monstrueuses oreilles percées plutôt que des cornes bouquines. Et ainsi il n’avait le libre usage que d’un membre, acrêté, comme l’ergot d’un coq de combat, de l’acier d’un éperon.

Et selon une mode, favorite aux noirs d’Éthiopie, un grelot d’argent s’enkystait dans l’extrémité de sa peau, jusqu’à la sourdine ; ce qui ne l’empêcha pas, aux oreilles de Messaline, de carillonner, quand le fanfaron galop du champion fit trois fois le tour de l’arène, mieux que les sonnailles des mules de tous les attelages réunis qui halent un bélier vers une ville.

Cependant le gladiateur blanc, adossé à un ormeau devant la pourpre des raisins, d’une pâleur de perle qui déchirerait le lobe qu’elle orne, se mit en garde avec une temporisation savante et comme à mesure d’une crucifixion.

Or parce que le blanc était beau et l’assuré vainqueur, Messaline se sentit tout amoureuse du nègre.

Aussi, pendant que la troupe des femmes, jusqu’à Césoninus ; et Silius et les invités, encourageaient l’un ou l’autre antagoniste par les évohé de leur rut ou de leur rire, elle s’appuya, sans une parole, à la lice de ceps, qui fit ventre à se rompre, et, ses égides souillées jusque sur ses chevilles par l’amour des raisins, derrière le nègre qui ne pouvait la voir, ses yeux convergèrent sur l’adversaire blanc les miroirs ardents de ses désirs.

Et parce qu’elle était une prostituée très experte et irrésistible, et que l’autre n’était qu’un mâle, le regard de Messaline, ce ne fut pas l’immédiate riposte d’un regard, mais d’une possession, et le don candide de toute une âme qui le croisa !

N’ayant plus à combattre qu’un désarmé, et parce que le sang réjouit les mânes, il fut permis de le tuer au nègre vainqueur.