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L’Invasion européenne en Chine
documents chinois

Les documents que j’ai, comme homme, le plaisir et, comme Occidental, la honte de publier plus loin m’ont été remis, parmi d’autres, par des amis chinois rencontrés au cours d’un voyage qui m’a permis d’observer l’affaire chinoise de derrière les coulisses. Entre moi et les envahisseurs européens se trouvait le théâtre des opérations militaires. Ces documents sont importants à trois points de vue. Premièrement ils montrent la situation telle qu’elle se présente aux yeux des Chinois. Deuxièmement, ils offrent la preuve objective du lamentable échec de la politique occidentale en Chine. Troisièmement, ils font voir à nu notre civilisation. Transportée hors de son milieu et privée des multiples ficelles qui l’y maintiennent en posture décorative, la marionnette européenne apparaîtra ici telle qu’elle est, car elle est bien telle que la montrent les imprécations naïves et tragiques qu’on va lire.

Le commentaire que j’ai cru devoir ajouter se borne à l’élucidation des idées ou expressions qui pourraient sembler obscures à l’Européen non initié.

lettre personnelle expédiée de tchang-tzia-gou-ting (kalgan)[1], le 10 décembre 1900, à monsieur ou-sse-gong représentant de la maison bao-tchouen-chang au maï-maï-tcheng[2] d’ourga[3].

Vénérable beau-père ! Pendant plus de six mois, toute communication postale à travers la Mer de Sable[4] qui nous sépare, a été impossible, parce que, comme vous savez, les barbares

  1. Tchang-tzia-gou-ting ou Kalgan est une grande ville située à l’intersection de la Muraille et de la route de Pékin au Baïkal, à 250 kilom. de la Résidence (Pékin).
  2. Maï-maï-tcheng, corrompu par les Européens en « Maïmatchin », n’est pas un nom propre, mais le nom générique des colonies commerciales chinoises dans les États tributaires, maï, signifiant acheter, maï vendre, et tcheng ville. Ces colonies forment des villes réservées aux Chinois, ayant une juridiction et administration chinoise, indépendantes de l’administration de l’État tributaire où elles se trouvent. Les Chinois y peuvent vivre trois ans, après quoi de nouveaux passeports de leur ville natale leur sont nécessaires. Le séjour dans ces colonies est interdit aux femmes.
  3. Ourga est la capitale de la Mongolie, résidence du grand-khan, d’un pape bouddhique, et maintenant d’un résident russe. La ville possède depuis quelques mois des fortifications et une garnison russes.
  4. En chinois Cha-mo : nom chinois du grand désert mongol que les Mongols nomment « gobi ».