Page:La Revue blanche, t25, 1901.djvu/285

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barbares qui n’ait mérité « les huit peines » à la fois. Ce ne sont pas des militaires, comme les « Tatars russes » : ce sont des brigands, des pillards, des voleurs, des aigrefins, des assassins, des bourreaux, des tueurs de vieillards et d’enfants, des violateurs de femmes et de filles, des menteurs, des tourmenteurs d’esclaves, — bref de diaboliques chrétiens[1].

J’ai voulu vous dire cela avant d’oser vous communiquer les horribles nouvelles que vous allez lire. Car la rage vaut mieux que le désespoir.

Aucune horreur n’a été épargnée à cette ville et à notre mai-

    soie, il l’acheta d’après l’usage chinois, naturellement, c’est-à-dire sur engagement verbal à trois mois. La soie livrée, il l’envoya à Tien-tsin, la fit transporter à San Francisco et la vendit avec au moins cinquante pour cent de bénéfice. Les trois mois de ses traites verbales écoulés, il omit de payer. Les créanciers proposèrent une prolongation de trois mois au taux relativement bas en Chine de 1  1/2  0/0 par mois. Le bon chrétien accepta, ce qui ne l’empêcha point de ne pas payer à l’échéance. Sur demande réitérée des créanciers, il refusa nettement. Eux, s’adressèrent au tribunal et s’engagèrent à établir, par témoignages, serments et le reste, ce que tout le monde savait. Le tribunal ne pouvait que se déclarer incompétent, du fait de l’exterritorialité des missions : c’était devant le tribunal consulaire de Tien-tsin que l’affaire devait être portée. Le missionnaire eut la prudence de rester enfermé dans l’enceinte de sa concession ; et de cette façon il échappa à l’assassinat qui, dans tant d’autres cas, est justement venu suppléer la justice officielle. Les créanciers, exhortés par le tribunal de leur ville à se tenir tranquilles, expédièrent leur plainte à Tientsin (c’est-à-dire à huit cents kilomètres de là).

    Le tribunal consulaire demanda aussitôt, en défenseur de la véritable civilisation, les signatures du missionnaire. Celles-ci n’existant pas, il débouta les créanciers de leur demande, et fit contre eux, auprès du ministère de la justice chinois, une dénonciation eu tentative de chantage. Les malheureux étaient définitivement volés ; ils jurèrent qu’on ne les y reprendrait plus. La conséquence fut que la mission se trouva plus ou moins boycottée ; les affaires ne marchaient plus, et l’hostilité de la population contre les dignes civilisateurs chrétiens était manifeste. Que faire ? Voici : le missionnaire adressa à son ambassade une plainte, disant que le respect de la population envers la mission était au-dessous de zéro, que la mission était boycottée et presque assiégée, que l’achat de marchandises se heurtait à un non-vouloir obstiné des commerçants chinois, bref que la situation était critique. L’ambassade somma le gouvernement d’intervenir, et celui-ci, sous la pression diplomatique, ne sut qu’envoyer une missive énergique au gouverneur du district en question, le déclarant responsable de la situation, au cas où cet état de choses se perpétuerait. D’où reprise forcée des brigandages de la mission, et dépêches triomphales de Pékin, annonçant que l’énergie des diplomates avait réussi à sauver une importante mission en danger d’être détruite par des voleurs chinois. Le missionnaire fit fortune. Quand, l’année dernière, les troubles éclatèrent, il se sauva à temps en emportant tous ses trésors, tua un mouton, enduisit de sang son manteau de soie bleue, s’écorcha la tête pour faire croire à une blessure, et s’en alla à travers la Mongolie en préparant un émouvant récit de fuite qu’il se proposait de faire publiquement dans les principales villes des États-Unis contre dix sous d’entrée.

    On peut rapprocher de cette histoire l’inscription célèbre qui se trouve sur la porte du parc des missions à Chang-haï : « Entrée interdite aux chiens et Chinois ».

  1. Ce serait une erreur de croire que le Chinois soit intolérant. En Chine, toutes les religions cohabitent tranquillement, du judaïsme au chamanisme, du bouddhisme à l’islamisme. Il y a sept siècles, le christianisme des nestoriens était puissant en Chine. La haine des chrétiens n’est que la haine du bandit onctueux.