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Page:La Revue blanche, t25, 1901.djvu/500

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Mon frère cadet n’est pas mort[1] ! Nous nous sommes trompés en le croyant. Il est arrivé chez moi, il y a à peine dix jours. Il est sain et sauf. Mais dans quel état est-il arrivé. Dénué de tout, affamé, sans vêtements presque, et après avoir tout perdu. Son sort et celui de ses compagnons était épouvantable. Après plus de quatre mois de fuite ténébreuse il a pu se sauver jusqu’ici. Et moi, appauvri, au milieu de mon deuil, ruiné, privé de tout par l’action infernale des Pous, m’est-il possible de le secourir ?

Mais avant de vous dire ce que j’ose vous proposer, lisez pour savoir que les malheurs de mon frère sont immérités. Pourquoi, cependant, Fo peut-il permettre que ses serviteurs pâtissent sous les abominables crimes des hommes qui propagent la doctrine du Seigneur-du-Ciel ? Ces immondes menteurs, usuriers, rompeurs de contrats, voleurs, et qui sont en dehors des lois, comment le Ciel juste ne les punit-il pas ?

Si mon frère a échappé à la mort, c’est qu’il est distingué par le destin. Le couvent de Liang-hsien[2], en effet, a été détruit et tout le monde a péri, comme on l’avait déjà raconté. Mais tout cela ne serait pas arrivé sans ces animaux carnassiers de missionnaires. Il y avait à proximité de l’endroit, des protestants et des catholiques, gens riches et dont le commerce prospérait[3]. Ils avaient réussi à faire entrer dans leur Société beaucoup de chinois qui trouvaient par là un gain considérable et qui profitaient des malversations de leurs patrons transocéa-

  1. Ce frère cadet, comme il ressort de la teneur de cette lettre, est un moine bouddhique. On peut dire qu’en général dans la Chine septentrionale, comme du reste au Tibet, en Mongolie et en Transbaïkalie, chaque famille tient à ce qu’un de ses membres se fasse moine. La carrière ecclésiastique revêt du reste un caractère autrement scientifique que celle des moines chrétiens en général. La vie de ces moines ne ressemble en rien à celle étonnement peu ascétique de la grande majorité des moines d’Occident. Il serait donc téméraire d’assimiler d’emblée le clergé bouddhique au clergé chrétien. L’exposé détaille de la vie et de l’œuvre des moines bouddhiques sortirait du cadre de cette discussion. — Fo est l’abréviation chinoise du mot Bouddha.
  2. Si je ne me trompe (il est très difficile d’identifier les localités chinoises) cet endroit se trouve à proximité de Pékin sur la route de Bao-ting. On a parlé dernièrement d’un fait semblable qui paraît-il, a été rapporté par l’officier même qui commandait la horde européenne. Il serait intéressant de savoir si ce fait s’est passé à un endroit nommé Liang-hsien.
  3. Protestants : Yé-sou-yen. Catholiques : Tien-tchou-yen. Leur nationalité serait à vérifier. Les Chinois ne la savent généralement pas, et ne s’y intéressent guère. Les noms cités des sectes chrétiennes sont du reste d’invention chrétienne et ne disent rien aux Chinois non chrétiens. La différence essentielle leur semble que les uns ont des femmes et les autres n’en ont pas. Ce qui leur paraît essentiel, c’est uniquement de savoir s’ils sont riches et si leur commerce prospère. On peut voir par là une fois de plus que les missions paraissent aux Chinois des entreprises commerciales et rien de plus.