Page:La Revue blanche, t25, 1901.djvu/506

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juste exterritorialité des missions, ont abandonné le christianisme plus facilement que les missionnaires leurs affaires. Les preuves en abondent. Et ceux qui restent chrétiens de conviction, sil y en a, n’ont besoin ni de prêtres étrangers, ni de la protection exterritoriale. La religion d’État n’existe pas en Chine. Toutes les religions y vivent côte à côte, La tolérance est absolue. Mais la religion ne doit pas dispenser de se soumettre à la loi. Si les missionnaires n’avaient pas poursuivi d’autres objets que la propagation de la foi, jamais la population ne se serait levée contre eux. Mais, de l’aveu même des personnages officiels (croit-on peut-être qu’on ne lise pas en Chine ?) les missionnaires sont les pionniers de la civilisation occidentale. Qu’on les remplace dorénavant d’abord par des savants, puis par des commerçants qui soient renseignés sur tout ce qui concerne leur difficile entreprise.

Il est faux que les missions doivent être maintenues et protégées officiellement parce que leur abandon constituerait une perte matérielle énorme. Les bénéfices de l’exploitation des missions ont été fabuleux. Les chantages et les pillages des derniers temps s’y ajoutent. Elles recevront, en outre, à coup de mensonges et par d’abominables machinations, il est vrai, des indemnités fantastiques. Qu’on les leur donne sous la condition expresse quelles ne retournent plus en Chine ; l’argent ainsi dépensé porterait de gros intérêts moraux, matériels et politiques au pays qui oserait le faire.

Il est faux que la dignité européenne demande que les missions soient maintenues. La dignité demande qu’on ne se solidarise point avec une institution qui, à l’insu de ses protecteurs, a commis d’innombrables méfaits et amené une crise mondiale.

Il est certain, par contre, qu’une conditio sine qua non s’impose : l’abolition de l’exterritorialité, la soumission de tout le monde, missionnaires, commerçants, voyageurs, tous, à l’exception de la personne de l’ambassadeur, à la juridiction chinoise. Ainsi l’on verra si les missions religieuses étaient religieuses jusqu’à présent, et l’on verra si l’Europe est capable de l’emporter par la force de son travail sur la Chine. Si l’on n’adopte pas cette mesure, la mort et toutes les horreurs de la guerre régneront sous peu en Europe comme en Asie.

Le Tsar veille sur son empire futur et sur le peuple chinois, incarnation éternelle, merveilleuse, suprême de la force essentiellement humaine : du travail. Et ce peuple le sait, il a confiance dans l’avenir, et il a pleinement conscience de ce que sera son triomphe quand il aura vaincu par le Travail la folie destructive de la jeune et insouciante Europe.

Alexandre Ular