dans le détail microscopique toutes les données possibles sur les événements notoires qui s’y rapportent, nous n’apprenons rien de plus précis que lorsque l’histoire nous dit que le maître avait d’abord projeté la Symphonie héroïque comme un hommage au général Bonaparte et inscrit son nom au frontispice de l’œuvre, qu’il raya plus tard en apprenant que Bonaparte s’était fait empereur. Et que tirons-nous de cette indication si précise pour le jugement d’un des monuments les plus merveilleux de la musique ?
Pouvons-nous par là nous expliquer seulement une mesure de cette partition ? La seule tentative ne nous en apparaît-elle pas comme une pure folie ?
Je crois que ce que nous pourrons apprendre de plus certain sur Beethoven en tant qu’homme, sera, au cas le plus favorable, par rapport à Beethoven en tant que musicien comme le général Bonaparte est à la Symphonie héroïque. Considéré de ce côté de la conscience, le grand musicien doit constamment demeurer pour nous un mystère absolu. En tout cas pour le résoudre en sa manière, il faut prendre une tout autre voie que celle par où il est possible, du moins jusqu’à un certain point, de suivre l’action créatrice d’un Gœthe ou d’un Schiller. D’ailleurs on perd aussi la trace du poëte, précisément à l’endroit où la création passe du conscient dans l’inconscient, c’est-à-dire où le poète ne détermine plus la forme esthétique, mais où celle-ci est déterminée par sa contemplation intérieure de l’idée même. Mais c’est précisément en cela que consiste toute la différence entre le poète et le musicien, et pour atteindre là-dessus à quelque clarté, il nous faut étudier de plus près le problème qui s’offre à nous.
Cette diversité apparaît avec évidence si nous mettons en face l’un de l’autre l’artiste plastique et le musicien et plaçons le poète au milieu, de façon que ce dernier par sa forme consciente incline vers l’artiste plastique, tandis qu’il est en contact avec le musicien sur l’obscur terrain de l’inconscient. Chez Gœthe le goût pour les arts plastiques fut si fort que, pendant une période importante de sa vie, il s’y crut destiné, et, en un certain sens, considéra longtemps sa création poétique comme une sorte de compensation à sa carrière manquée de peintre : il fut, avec sa conscience, un bel esprit entièrement tourné vers le monde sensible. Schiller au contraire, fut bien plutôt attiré par l’examen du sous-sol de la conscience intérieure, bien loin du monde sensible, par la « chose en soi », par la philosophie kantienne dont l’étude l’absorba tout entier, au moment de son plus haut développement. Ces deux grands esprits entrèrent en un contact durable précisément au point où, venus des deux extrêmes, ils arrivaient à la conscience personnelle. Tous deux se rencontraient aussi dans leur pressentiment sur l’essence de la musique. Sauf que ce pressentiment était accompagné chez Schiller d’une vue plus profonde que chez Gœthe, qui n’en comprenait, conformément à ses tendances, que l’élément agréable, la symétrie, le côté plastique ; — la musique comme objet d’art (Kunstmusik) par où l’art des sons mani-