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Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/104

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cette caractéristique de la nation. Un État qui progresse, qui accentue la relation « dirigeant et dirigé », va à l’encontre de la tâche qui incombe à la nation, empêche la nation de remplir son premier devoir, qui est d’aider au développement intégral de l’individu en lui donnant le moyen de se fixer librement, sincèrement, et en conformité avec ses facultés, donc d’après son droit naturel, la place qui lui convient dans le système des trois coordonnées de l’espace social. Seule une nation qui résume son activité collective à créer une organisation de la vie aussi apte que possible à réaliser ses données, existe. La Chine, seule, existe comme nation.

Ces principes de la psychologie nationale des Chinois une fois constatés, rien ne saurait se faire aussi logiquement et avec autant de clarté que l’étude des qualités psychiques du Chinois comme individu. À l’encontre de l’âme hybride que montrent la moyenne des Européens modernes, et qui, forcément, devient plus énigmatique dans ses manifestations à mesure qu’on l’étudie, il est facile d’analyser ainsi, d’après leurs manifestations extérieures, les énormes supériorités du Chinois, les vigoureuses facultés issues de l’adaptation quasi-parfaite aux circonstances qui lui assurent une vitalité bien faite pour effrayer l’inconstant Européen.

C’est, avant toutes choses, l’extraordinaire, le sublime raffinement du système nerveux. La mystérieuse supériorité d’avoir une sensibilité merveilleuse pour toutes les voluptés, et une insensibilité stupéfiante pour toutes les douleurs, une patience inlassable dans les entreprises dont la réussite dépend de circonstances en dehors de l’individu, et un élan irrésistible dans les actions issues de mouvements purement individuels, l’indestructible force inconsciente qui fait que les nerfs réagissent toujours au plus grand profit de l’organisme, la suprême perfection dans ces réactions mêmes, enfin la formidable agressivité de l’énergie nerveuse qui à tout instant dompte l’extérieur et qu’on a appelée stupidement de l’apathie : c’est l’organisation de vie subconsciente la plus admirable que l’on constate sur la terre chez un ensemble d’individus.

Il se couche et il s’endort n’importe où, sur une marche d’escalier, sur un tas de pierres, et il reste là, sans bouger, comme un tronc d’arbre. Coupez-lui un membre, c’est à peine s’il criera. Mais aussi, observez sa volupté extrême à goûter d’imperceptibles nuances, dans le manger, dans le boire, dans l’amour, dans les couleurs et les lignes ; admirez l’extase où le jettent de savantes et lointaines allusions, des associations d’idées primesautières ; comprenez ses calembours raffinés, ses satires formidables basées sur d’infinitésimales ridiculités, ses ironies déroutantes, son acuité tranchante qui est du Nietzsche cent fois nietzschisé…

Il est admirablement organisé pour vivre, pour jouir et souffrir, pour… mourir. Persévérant, robuste, travailleur acharné, économe,