Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

excellemment s’efforça ; mais dans « l’éternel féminin nous élève », l’esprit de la musique qui du plus profond de la conscience du poète a pris son essor et plane maintenant au-dessus de lui et le guide dans la voie de la délivrance.

C’est dans cette voie, qui a pour origine son événement intérieur le plus profond, que l’esprit allemand doit diriger son peuple pour qu’il rende heureux les autres peuples, comme c’est sa mission. Nous raille qui veut quand nous conférons à la musique allemande une telle importance. Ne nous laissons pas plus déconcerter par là que le peuple allemand ne l’a fait, alors que ses ennemis croyaient pouvoir le blesser en mettant en doute sa supériorité. Notre grand poète savait cela, lui aussi, lorsqu’il cherchait quelque chose qui le consolât de ce que les Allemands lui apparaissaient si niais et si nuls dans leurs manières nées d’une mauvaise imitation. Cette consolation, il la trouva : « l’Allemand est vaillant ». — Et c’est quelque chose.

Que le peuple allemand soit maintenant vaillant dans la paix, qu’il cultive sa véritable valeur et se débarrasse des fausses apparences ; puisse-t-il ne vouloir jamais passer pour ce qu’il n’est pas et au contraire reconnaître en soi-même ce qui le rend unique. Le gracieux lui a été refusé ; par contre, sa véritable manière d’être est intime et élevée. Rien de plus noble ne peut être mis à côté de ses victoires, en cette merveilleuse année 1870, que la consécration de notre grand Beethoven qui, il y a cent ans aujourd’hui, naquit au peuple allemand.

Dans ce pays où pénètrent maintenant nos armes, à la source même de « la mode impudente », son génie avait déjà remporté la plus noble des conquêtes. Là où nos penseurs et nos poètes, adaptés péniblement et sans clarté, n’avaient fait qu’effleurer, la symphonie beethovénienne avait déjà pénétré au plus profond de l’être : la nouvelle religion, l’évangile libérateur de l’innocence la plus sublime était déjà compris là comme chez nous.

Ainsi célébrons donc ce grand pionnier qui fraie sa voie à travers la brousse du Paradis dégénéré ; mais célébrons-le dignement, aussi dignement que les victoires de la vaillance allemande, car le bienfaiteur du monde a encore le pas sur le conquérant.

Richard Wagner


Traduit par Henri Lasvignes.