Nous mîmes six jours à aller de Saint-Louis à Saint-Joseph, Ce trajet fut si ennuyeux, si endormant, si insignifiant qu’il n’a pas laissé plus d’impressions dans ma mémoire que s’il avait duré six minutes au lieu d’autant de journées. Nulle trace ne subsiste aujourd’hui à ce sujet, dans mon esprit, si ce n’est un mélange confus, de troncs d’arbres à l’air sinistre, sur lesquels nous faisions passer délibérément une de nos roues ; de rochers contre lesquels nous buttions et nous buttions jusqu’à ce que nous nous retirions pour les escalader dans un endroit moins dur ; de bancs de sable où nous nous perchions de temps en temps et où nous nous reposions jusqu’à ce que nous sortions nos béquilles pour nous en déloger (à la perche).
En fait, le bateau aurait presque pu aller à Saint-Joseph par terre, car, je ne sais comment, il allait à pied la plupart du temps, se hissant sur les rocs et grimpant sur les troncs d’arbre, patiemment et laborieusement tout le long de la journée. Le capitaine disait que son bateau était un « fameux gaillard » et qu’il ne lui manquait que plus de « mordant » et une roue plus grande. Moi je me disais que ce qui lui manquait, c’était une paire d’échasses, mais j’eus la sagacité profonde de ne pas le dire.
La première chose que nous fîmes, l’heureux soir où nous débarquâmes à Saint-Joseph, fut de dénicher le bureau de la poste aux chevaux où nous prîmes nos billets à 150 dollars pièce jusqu’à Carson City (Nevada) par la route de terre.
Le lendemain matin, aux premiers rayons de l’aurore, nous avalâmes un déjeuner rapide et nous nous hâtâmes vers le lieu du départ. Alors un inconvénient se présenta auquel nous n’avions pas bien réfléchi avant, à savoir qu’on ne peut pas faire