Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/293

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tance venait le « conducteur ». Son parcours était de la même longueur que celui de l’agent, 400 kilomètres. Il était assis à côté du cocher, et (en cas de besoin) il restait à son poste pendant cet effroyable trajet, nuit et jour, sans autre repos ou sommeil que ce qu’il pouvait en prendre perché ainsi au sommet du véhicule en mouvement. Qu’on y pense ! Il avait la responsabilité absolue des dépêches, des messageries, des voyageurs et de la voiture, jusqu’à ce qu’il les eût transmis au conducteur suivant et qu’il en eût quittance. Par conséquent il fallait qu’il fût homme d’intelligence, de décision et de capacité pratique. C’était pour l’ordinaire une personne tranquille, agréable, qui s’occupait strictement de ses fonctions et avait beaucoup du « gentleman ». Il n’était pas absolument nécessaire que l’agent de la division, lui, fût un gentleman, et quelquefois il ne l’était pas. Mais il était toujours un vrai général en fait de facultés administratives et un bouledogue en fait de courage et de détermination. S’il n’eût pas été tel, son commandement sur le personnel intraitable du service de la ligne aurait été pour lui l’équivalent d’un mois de détresse et d’affronts avec une balle et un cercueil au bout. Il y avait seize ou dix-huit conducteurs sur la ligne, car il y avait un départ tous les jours dans chaque sens et un conducteur à chaque voiture.

Inférieur au conducteur pour le rang et l’importance officiels et réels, venait le cocher, mes délices, inférieur en importance réelle mais non apparente, car nous avons vu qu’aux yeux du commun des mortels le cocher était au conducteur comme un amiral à son capitaine de pavillon.

Le parcours du cocher était assez long et son sommeil aux stations assez court quelquefois ; aussi, n’eût été la grandeur de sa position, sa vie eût été triste autant que dure et fatigante. Nous changions de cocher chaque jour et chaque nuit (car ils circulaient, aller et retour, sur le même tronçon de route), c’est pourquoi nous ne fîmes jamais avec eux aussi complète connaissance qu’avec les conducteurs ; et ils auraient, en tous cas, règle générale, dédaigné de se familiariser avec d’aussi menu fretin que des voyageurs. Pourtant nous étions toujours désireux de voir chaque nouveau cocher dès qu’on changeait le quart, car chaque jour nous étions ou anxieux de nous débarrasser d’un individu désagréable ou désolés de nous séparer d’un homme que nous avions appris à apprécier et avec lequel nous étions arrivés à être en termes sociaux et amicaux. Aussi la première question que nous adressions au conducteur chaque