la plus bizarre et la plus drôle que nos yeux novices aient jamais contemplée avec ébahissement.
Cela nous sembla drôle de revoir une ville après ce qui nous avait paru une si longue expérience de la solitude, complète, impassible, sans vie pour ainsi dire et sans maisons. Nous tombâmes dans la rue affairée avec la sensation d’êtres météoriques détachés de la corniche d’un autre monde et subitement réveillés dans celui-ci. Pendant une heure nous nous intéressâmes à « Overland-Ville » comme si nous n’avions encore jamais vu de ville. Nous avions une heure à y dépenser, parce qu’il nous fallait changer notre voiture contre un appareil moins somptueux, nommé un " chariot de marais » et transborder notre cargaison de dépêches.
Ensuite nous repartîmes. Nous arrivâmes à la Platte du Sud, boueuse, jaunâtre et sans profondeur, avec ses rives basses, ses bancs de sable plats et ses archipels d’îles de pygmées, rivière mélancolique se traînant au centre de l’énorme plaine, et visible à l’œil nu grâce seulement à la rangée d’arbres clairsemés, en sentinelle sur chacun de ses bords. La Platte était haute, disait-on, ce qui me fit souhaiter de la voir basse pour juger si elle pouvait avoir l’air plus navrant et plus minable. On disait que c’était un cours d’eau dangereux à traverser pour le moment, parce que ses sables mouvants pourraient bien engloutir chevaux, voitures et voyageurs au milieu du gué. Mais il fallait que la poste avançât et nous fîmes la tentative. Une ou deux fois en plein courant les roues s’enfoncèrent si profondément dans le sable sans consistance que nous crûmes à moitié que nous avions redouté et évité la mer toute notre vie pour finir par faire naufrage dans un « chariot de marais » au milieu d’un désert. Mais nous nous en tirâmes et courûmes vers le soleil couchant.
Le lendemain matin, juste avant l’aurore, à environ neuf cents kilomètres de Saint-Joseph, notre « chariot de marais » se