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Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/300

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mouvement je laissai aller le reste et le nœud coulant lui tomba d’aplomb juste autour du cou ! Prompt comme l’éclair je sors mon Allen et le lui lâche dans la figure. Cela fit une explosion épouvantable qui dut l’affoler. Quand la fumée se dissipa, il était là, se balançant en l’air, à sept mètres de haut, ne se remettant d’une convulsion que pour retomber dans la suivante ; si vite qu’on ne pouvait les compter. Toujours est-il que je ne restai pas à les compter. Je glissai sur mes tibias en bas de l’arbre et courus à la maison.

— Bémis, tout cela est-il arrivé exactement comme vous le racontez ?

— J’aime mieux pourrir sur ma route et mourir comme un chien si cela n’est pas.

— Bon, nous ne pouvons pas refuser de vous croire et nous ne le refusons pas. ! Mais si vous aviez quelques preuves…

— Des preuves ! Ai-je rapporté ma lanière ?

— Non.

— Ai-je ramené mon cheval ?

— Non.

— Avez-vous revu le taureau ?

— Non.

— Eh bien alors, que vous faut-il de plus ? Jamais je n’ai vu de gens aussi méticuleux que vous autres pour une bagatelle pareille.

Je décidai en moi-même que si cet homme n’était pas un menteur il ne s’en fallait que de la peau de ses dents. Cet épisode me rappelle un incident de mon court séjour au Siam, des années après. Les habitants européens d’une ville voisine de Bangkok avaient parmi eux un phénomène nommé Eckert, un anglais fameux par le nombre, l’ingéniosité et la grandeur imposante de ses mensonges. On répétait toujours ses inventions les plus célèbres et on essayait de le « faire parler » devant les étrangers ; mais on réussissait rarement. Deux fois il fut invité dans la maison ou j’étais en visite, mais rien ne put l’entraîner à un mensonge spécimen. Un jour un planteur nommé Bascom, homme influent, orgueilleux et parfois irritable, m’invita à monter à cheval pour aller voir Eckert avec lui. Pendant que nous trottions il me dit :

— Eh bien, savez-vous où est l’erreur ? Elle consiste à mettre Eckert sur ses gardes. Dès l’instant où nos camarades se mettent à le sonder, il voit parfaitement ce qu’ils cherchent et il ferme sa coquille. On devait s’y attendre. Mais quand nous arriverons