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populaire hongroise (à la conclusion de la symphonie en la majeur) de sorte que celui qui, d’après cette musique pouvait imaginer une danse réelle devait croire voir surgir devant ses yeux, dans un tourbillon énorme, une nouvelle planète.

Or il s’agissait pour lui de trouver le type original de l’innocence l’homme bon », l’homme idéal de sa foi, et de l’unir avec son credo : « Dieu est l’amour ». On pourrait déjà presque reconnaître le maître sur cette voie dans sa Symphonie héroïque. Le thème extraordinairement simple de la dernière phrase, qu’il remania et utilisa encore ailleurs semblait devoir lui servir en ceci d’ossature principale, mais ce qu’il y avait mis de mélodie entraînante appartient trop encore au cantabile sentimental deMozart — par lui d’ailleurs élargi et développé d’une manière si personnelle — pour pouvoir être accepté comme une conquête au sens où nous l’entendons. — La trace en apparaît déjà plus nettement dans la conclusion triomphale de la Symphonie en ut mineur, où le mode de marche simple, se maintenant presque uniquement sur la tonique et la dominante, suivant la gamme naturelle des cors et des trompettes, nous parle si profondément à l’âme par sa grande naïveté. Nous voyons alors que la Symphonie précédente n’était pour nous qu’une œuvre d’attente, annonçant celle-ci ; ainsi les nuages remués tantôt par l’orage, tantôt par le souffle du vent, d’où le soleil, avec ses flammes puissantes, surgit.

Mais en même temps (nous introduisons une apparente digression, mais d’importance capitale pour l’objet de notre recherche) cette Symphonie en ut mineur nous captive comme une des plus rares conceptions du maître où la passion, douloureusement ébranlée, mode fondamental au commencement, s’élève graduellement à la consolation, à la rédemption, jusqu’à ce qu’éclate la joie consciente de la victoire. Ici l’éloquence lyrique foule presque le sol d’un art dramatique idéal pris dans un sens plus déterminé ; on pouvait craindre que, sur cette voie, la conception musicale fût troublée dans sa pureté, qu’elle se laissât égarer par l’attrait de représentations qui paraissent en soi absolument étrangères à l’esprit de la musique : il est indéniable cependant que le maître n’a été guidé en aucune manière par une conception esthétique trompeuse et qu’il a obéi exclusivement à un instinct idéal, germé exclusivement sur le terrain propre de la musique. Cet instinct coïncidait, comme nous l’avons vu précédemment, avec l’effort tenté pour sauver ou peut-être pour reconquérir la foi en la bonté originelle de la nature humaine, malgré toutes les protestations que l’expérience de la vie peut suggérer et qui ne vont qu’aux apparences. Les conceptions du maître presque entièrement issues de l’esprit de sérénité — de la sérénité la plus sublime — appartiennent principalement à la période de ce bienheureux isolement qui, après que la surdité totale fut venue, parut l’avoir enlève entièrement au monde de la souffrance. Maintenant, de ce qu’un sentiment plus douloureux apparaît encore dans quelques-unes des conceptions capitales de Beethoven, nous n’avons pas à conclure à la disparition de cette sérénité intérieure, et, très certainement, nous ferions erreur si