Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/512

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et de bêtises amusantes et nous allâmes nous coucher le soir, le cœur content.

Le second jour nous fîmes la connaissance de M. Street (mort depuis). Nous endossâmes des chemises blanches et nous allâmes rendre une visite officielle au roi. Il nous parut un vieux monsieur tranquille, aimable, plein d’aisance, de dignité et de sang-froid, âgé de cinquante-cinq à soixante ans, avec une douce malice dans le regard qui probablement y était à sa place. Il était très simplement vêtu et venait de retirer un chapeau de paille quand nous entrâmes. Il parla de l’Utah, des Indiens, du Nevada et de généralités américaines avec notre secrétaire et certains fonctionnaires qui nous accompagnaient. Mais il n’accorda aucune attention à ma personne, bien que je fisse plusieurs tentatives pour lui « tirer les vers du nez » sur la politique fédérale et sur son attitude hautaine envers le Congrès. Je trouvais que plusieurs des choses que je disais étaient vraiment très bien. Mais il se borna à se retourner de mon côté, de loin en loin, un peu à la façon de certains vieux matous bienveillants que j’ai vus, quand ils se retournent pour voir quel est le chaton qui joue avec leur queue. Bientôt je me retranchai dans un silence indigné et restai assis jusqu’à la fin, échauffé et hors de moi, et l’exécrant dans mon cœur comme un sauvage ignorant. Mais il était calme. Sa conversation avec ces messieurs coulait aussi agréable et aussi musicale qu’un ruisseau d’été.

Quand l’audience fut terminée et que nous prîmes congé de lui, il posa la main sur ma tête, rayonnant d’admiration, et dit à mon frère : « Ah ! votre enfant, je présume ! Fille, ou garçon ? »

CHAPITRE XIV
Entrepreneurs mormons. — Comment M. Street les surprit. — Le litige est soumis à Brigham Young et comment il le dénoue. — La polygamie considérée à un autre point de vue.

M. Street était très occupé de ses entreprises télégraphiques, et, considérant qu’il avait treize ou quatorze cents kilomètres de montagnes inhabitées et de déserts mélancoliques à traverser avec son fil de fer, il était naturel et nécessaire qu’il fût aussi occupé que possible. Il ne pouvait pas non plus avancer à son aise, je veux dire en coupant ses poteaux au bord de la route ; mais il lui fallait les charroyer, au moyen d’attelages de bœufs,