Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/53

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Jamais l’art le plus élevé n’a créé quelque chose de plus simple artistiquement que cette mélodie innocente comme une voix d’enfant. Dès que nous percevons le thème dans un murmure uniforme joué à l’unisson par les basses à cordes, un frisson sacré nous pénètre. Ce thème devient le Cantus firmus, le choral de la nouvelle Église autour duquel, comme autour du choral de Bach, les voix harmonieusement groupées se contrepointent. Rien n’égale la douce intimité à laquelle s’élève cette mélodie primitive si pure, à mesure qu’une voix nouvelle vient s’y joindre. jusqu’à ce que tout ornement, tout éclat du sentiment accru s’unisse à elle et en elle : ainsi le monde, qui respire assemblé autour du dogme enfin révélé de l’amour le plus pur.

Si nous considérons le progrès historique que la musique a fait par Beethoven nous pouvons dire brièvement qu’il consiste en l’acquisition d’une faculté que l’on croyait auparavant devoir lui refuser. Allant bien au delà du Beau esthétique, elle est entrée, au moyen de cette faculté, dans la sphère du Sublime, où elle est délivrée des formes traditionnelles ou conventionnelles qui l’enserrent par l’Esprit même de la Musique qui pénètre ces formes et leur donne la vie. Et ce progrès s’affirme aussitôt pour toute âme humaine, grâce au caractère donné par Beethoven à la forme fondamentale de toute musique, la mélodie. Ce progrès, c’est le retour à la simplicité suprême de la nature. Voilà la source où la mélodie en tout temps se retrempe et se revivifie pour ensuite prendre un nouveau développement et atteindre à la diversité la plus haute et la plus riche. Nous pouvons énoncer cela sous une forme accessible à tous : la mélodie a été, par Beethoven, émancipée de l’influence de la mode et du goût changeant, et élevée à un type éternel et purement humain. En tout temps la musique deBethoven sera comprise, tandis que, le plus souvent, la musique de ses prédécesseurs ne nous est accessible qu’à l’aide de considérations tirées de l’histoire de l’art.

Mais un autre progrès apparaît encore dans la voie où Beethoven s’était engagé pour atteindre à l’ennoblissement de la mélodie, je veux parler de la signification nouvelle que prend maintenant la musique vocale dans ses rapports avec la musique instrumentale pure.

Cette signification était étrangère au mélange de musique vocale et instrumentale jusque là existant. Si nous pi’enons tout d’abord les compositions d’Église, nous pouvons les considérer comme une sorte de musique vocale dégénérée, en ce sens que l’orchestre n’a pas ici d’autre rôle que de renforcer et d’accompagner les voix. Les compositions religieuses du grand Sébastien Bach ne peuvent être comprises que par le chœur, sauf que ce chœur est déjà traité lui-même avec la liberté et la mobilité d’un orchestre instrumental, ce qui naturellement, suggérait d’avoir recours à l’orchestre pour renforcer et appuyer le chant. À côté de ce mélange, et alors que la musique d’Église subissait une décadence qui allait s’accentuant, nous rencontrons l’opéra italien, mixture de chant et d’accompagnement d’orchestre adaptée à la mode de l’époque. Il fut réservé au génie de Beethoven d’appliquer d’ensemble artistique