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Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/575

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trouve toujours pour soutenir le faste des missions. L’an dernier, l’immense province de Tulear, qui s’étend du Mangoka au cap Sainte-Marie, sur une longueur de plus de 400 kilomètres, ne put obtenir un sou du budget local au chapitre des travaux publics. Dans la région immédiatement voisine, commandée par le capitaine Détrie, l’évêque de Fort-Dauphin eut une subvention de 10 000 francs.

Notez que Tulear, situé presque en face de Durban et doté d’un admirable port naturel qui n’a pas son équivalent sur toute la côte malgache, est un point stratégique de premier ordre, si important que l’occupation de Tulear assure la possession du tiers de la grande île. C’est en même temps un centre commercial à développer, en raison de son heureuse situation. Or les voies de communication — voies stratégiques et voies commerciales — lui font particulièrement défaut.

Notez encore que le gouvernement de Madagascar est un gouvernement militaire. D’où il ressort clairement que les questions stratégiques comme les intérêts économiques d’un pays intéressent bien moins les militaires que les affaires des évêques.

À mesure que l’influence des congréganistes baisse dans la métropole, elle monte dans les colonies. Elle monte irrésistible comme un raz-de-marée, sans que la République ait songé une minute à lui opposer une digue, à protéger les populations coloniales contre les siècles d’asservissement et d’imbécillité qui sont en marche.

Actuellement, les cadres administratifs se remplissent de jeunes cléricaux. Dans la correspondance officielle d’un de ces arrivistes à scapulaire qui font plus que les missionnaires pour l’évangélisation de nos colonies, j’ai cueilli cette phrase typique dont le caractère administratif n’échappera à personne : Heureux ceux qui croient ! Il crut si bien que sa foi robuste transporta sur le dos de ses collègues incrédules les montagnes qui barrent la route difficultueuse de l’avancement. Heureux ceux qui croient !

En somme, tout bien considéré, c’est pour l’Église que l’on colonise. La France ouvre au dogme le monde réfractaire. Elle suit sa vocation : complétant les monstrueuses annales qui lui ont valu d’être et de rester la fille aînée de l’Église.

Les populations indigènes, qui assistent journellement au spectacle inouï de toutes les autorités françaises courbées devant le missionnaire, tête nue et mains jointes, en concluent fort judicieusement que le missionnaire est un personnage puissant, qu’il est le plus puissant, et le missionnaire — qui représente l’autorité — est redouté à l’égal du soldat — qui représente la force.


Le soldat, lui, a généralement des idées qui ont du moins le mérite d’être peu compliquées et dénuées de toute hypocrisie. Le soldat considère la colonie comme son fief. Tous les habitants, sans distinction d’âge, de sexe ou de couleur, sont sa propriété.

Le lieutenant dont on paie le patriotisme 500 francs par mois estime