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À la dure  [1]
CHAPITRE XXXI
Les hôtes à Honey Lake Smith’s — Ce vieux rossard d’Arkansas. — Notre hôte. — Résolu à la lutte. — La femme de l’hôte. — Elle triomphe du matamore. — Nouveau départ. — Traversée de la Carson. — Nous l’échappons belle. — Nous suivons notre propre piste. — Un nouveau guide. — Perdus dans la neige.

Il y avait deux hommes dans la Société qui me causaient spécialement de l’ennui. L’un était un petit Suédois, d’environ vingt-cinq ans, qui ne savait qu’une chanson et qui la chantait perpétuellement. Pendant le jour nous étions tous réunis dans une salle de café étouffante : il n’y avait donc pas moyen d’échapper à la musique de ce personnage. À travers toutes les bordées de jurons, les tournées de whisky, les parties d’ « old sledge » et les disputes — sa chanson monotone méandrait sans jamais une variation en sa fatigante uniformité. Il me semblait à la fin que j’aurais accepté la mort si elle m’avait délivré de cette torture. L’autre homme était un bandit athlétique, nommé « Arkansas », qui portait deux revolvers à la ceinture et un couteau poignard dans sa botte et qui était toujours ivre et toujours en peine d’une bataille. Mais il était si redouté que personne ne voulait lui rendre ce service. Il essayait toutes sortes de ruses matoises pour attirer quelqu’un au piège d’une remarque blessante, sa figure s’illuminait de temps en temps quand il se croyait bien sur la piste d’un conflit, mais invariablement sa victime éludait ses filets et alors il montrait un désappointement qui était presque pathétique. L’aubergiste Johnson était un garçon doux et bienveillant : Arkansas jeta de bonne heure son dévolu sur lui comme sur un sujet d’avenir. Il ne lui donna de repos ni jour ni nuit pendant quelque temps. Le quatrième matin, Arkansas s’enivra et s’assit pour attendre une occasion. Bientôt Johnson entra, bienveillant à souhait, grâce au whisky, et dit :

— Je compte que l’élection en Pensylvanie…

Arkansas leva le doigt magistralement et Johnson s’arrêta. Arkansas se dressa en vacillant et lui fit face. Puis il dit :

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