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À la dure  [1]
CHAPITRE XXXIX
Visite aux îles du lac Mono. — Cendres et désolation. — La vie chez la mort. — Notre bateau à la dérive. — Un bond pour la vie. — Tempête sur le lac. — Une masse de mousse de savon. — Curiosités géologiques. — Une semaine sur les Sierras. — Nous l’échappons belle à une explosion comique. — « Fourneau des tas parti. »

À sept heures environ, par un matin de soleil torride, car on était alors en plein été, Higbie et moi nous prîmes l’embarcation et nous partîmes pour un voyage de découverte aux deux îles. Il y avait longtemps que nous en mourions d’envie ; mais nous avions été retenus par la crainte des tempêtes ; car elles étaient fréquentes, et assez violentes pour chavirer sans grande difficulté un canot à rames ordinaire comme le nôtre, et, une fois chaviré, la mort s’ensuivrait en dépit de nos belles prouesses de natation, attendu que cette eau vénéneuse dévore les yeux de l’homme comme du feu et lui consume les viscères s’il embarque une lame. On prétendait qu’il y avait vingt kilomètres pour aller aux îles en ligne directe, une longue trotte et une chaude ; mais la matinée était si calme et si ensoleillée, le lac si cristallin et si mort que nous ne pûmes résister à la tentation. Nous remplîmes d’eau deux gros bidons de fer-blanc (puisque nous ignorions l’emplacement de la prétendue source) et nous partîmes. Les muscles aguerris de Higbie imprimèrent une bonne vitesse à l’esquif ; mais en atteignant notre destination, nous jugeâmes que nous avions trimé plutôt vingt-cinq kilomètres que vingt.

Nous débarquâmes sur la grande île et nous allâmes à terre. Nous goûtâmes l’eau des bidons, alors, et nous nous aperçûmes que le soleil l’avait fait tourner ; elle était si corrompue que nous ne pouvions l’avaler ; nous la jetâmes et nous nous mîmes en quête de la source — car la soif augmente vite dès qu’il est manifeste que l’on n’a plus sous la main le moyen de l’étancher. L’île était une longue colline d’une hauteur modérée, toute en cendres et en pierres ponces, où nous enfoncions jusqu’aux genoux à chaque pas et tout autour du sommet s’étendait un mur sourcilleux de rocs calcinés et déchirés. Quand

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