Page:La Revue blanche, t27, 1902.djvu/537

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adopté antérieurement et une fois pour toutes, le modèle selon lequel il façonnera ses élèves. Ceux-ci savent très tôt quelles sont les vertus que doit pratiquer le Bon Citoyen. On leur dit qu’ils doivent au Magistrat un respect particulier dont le boulanger, semble-t-il, n’est pas également digne. Sous des formes très différentes, on ferait sans cesse la même constatation : l’expression est sur les lèvres de l’enfant avant que la pensée ou le sentiment exprimés ne soient en lui. La notion vide, purement verbale, du Parfait infeste tout l’esprit de l’école. Mais il est temps de résumer et de conclure.

Comme le dit M. L. Bélugou dans un article du Mercure de France (février 1902), ce qui caractérise l’école est « la foi absurde à l’efficacité absolue de l’instruction ». Rappelons-nous sa sollicitude : elle ne voulait pas qu’il y eût des lacunes dans notre savoir ; et elle nous remit des cours complets où, candides, nous avions trouvé, à dix-huit ans, toute la nature et toute l’humanité.

Il n’y a pas à le contester. J’ai eu entre les mains un très grand nombre de cours complets. Non seulement le stupéfiant adjectif était souvent imprimé sur la couverture, mais, en ouvrant ces manuels, on trouvait toujours, après une introduction plus ou moins longue, de fastidieuses nomenclatures ou des monographies interminables. La préoccupation de ne pas omettre un nom ou un fait important se retrouvait à chaque page. « Pas de lacunes ! » C’est la consigne. Car ce serait honteux, n’est-ce pas, de n’avoir rien à dire sur le cobalt ? Et Néron ? Peut-on l’ignorer ? Evidemment non. Ce monarque fut tout de même trop ignoble : il faut le dire à tous les enfants.

Les pédagogues le répètent souvent : « il y a des choses dont chacun doit avoir entendu parler. » Et, consciencieux, ils mentionnent dans leurs leçons tous les empereurs, tous les fleuves, tous les silicates. Dieu merci ! nous ne manquons pas de silicates !

Eh bien, je le demande avec insistance : Pourquoi toute cette science ? Pourquoi celle-là plutôt qu’une autre ? Pourquoi ce vain savoir plutôt qu’une ignorance consciente d’elle-même ?

Dira-t-on que l’instruction que reçoivent les écoliers actuels leur est utile, au sens strict du mot ? Le jeune Paul aura peut-être un jour besoin de savoir où est située la ville de Chandernagor. Est-ce une raison pour lui nommer aujourd’hui les sept ou huit cents principales villes du globe ? Cette précaution serait plutôt comique, car Paul qui, le moment venu, aura oublié les trois quarts de ce qu’on lui aura enseigné, obtiendra sans peine les renseignements qu’il désirera.

Mais l’école n’a pas la prétention de transformer ses élèves en encyclopédies ambulantes. Elle s’y applique, mais elle ne s’en vante pas. Son seul but, dit-elle, est de former les esprits. Comment s’y prend elle ? Apprendre à des gamins de douze ans quand et par qui fut assassiné Henri IV, c’est leur permettre de répéter textuellement : « Henri IV fut assassiné en 1610 par un fanatique nommé Ravaillac. » Le résultat est mince. De même, on peut se demander si l’élève studieux qui, d’après son manuel, attribue à telle ville lointaine une population de