Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/27

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son compte et, parce qu’il était un des meilleurs ouvriers du pays, consciencieux et rapide, on vint à lui comme à une administration régulière. Il eut deux enfants, Jean et Marguerite, à quatre ans de distance, ce qui lui donnait plus de plaisir encore que lorsqu’il allait porter de l’argent au notaire. En vingt ans, il amassa quarante mille francs, Jean, qui était toujours le premier à l’école, put avoir une subvention départementale qui lui permit d’étudier au lycée, y occupa la première place encore, et lorsqu’il se présenta à l’École Centrale, fut classé le soixante-quinzième, ce qui fit pousser des : ah ! Jamais il n’avait échoué à aucun examen.

Et Paul s’attabla sans plus de cérémonie. Marguerite aussi mangeait, et son petit menton rond, sérieux et se remuant, semblait une personne qui réfléchit en marchant. Paul la regarda et dit :

— Tu l’aimes, la galette !

Elle avait quatorze ans et ne se cachait de rien. Elle répondit :

— Ma foi, oui, je l’aime bien.

Ils avaient été à une noce ensemble. Il était son premier garçon de noce, elle était sa première fille de noce. C’est une chose qui vous réunit et qui mêle à vos sentiments naturels un peu plus que de l’amitié. Il avait pris l’habitude de lui offrir toutes sortes de petites choses, comme des bonbons, et elle avait pris l’habitude de les attendre. D’ailleurs, Paul traînait toujours quelque friandise dans sa poche, pour s’occuper. Il dit :

— Et les pastilles de menthe, est-ce que tu les aimes ?

Elle répondit :

— Bien sur ! Est-ce que tu en as dans ta poche ?

Il les sortit en disant :

— Ah ! tu la connais dans les coins !

Pendant ce temps, Pierre Bousset versait à boire. Il eût voulu rendre tout le monde heureux. C’était un de ces hommes qui se sont toujours privés et pour qui le bonheur consiste à ne se pas priver. Il disait à son fils :

— Tu ne bois pas. Bois donc, petit bêta !

Puis arriva le moment du café et Pierre Bousset voulut encore payer la goutte. Quand tout fut fini, Paul désirait