Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/29

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verait aujourd’hui, au lieu qu’il n’est plus bon qu’à mettre au bureau de charité.

Conduis-toi toujours bien. Le jour, tu seras à l’école, je n’ai rien à dire. Tous les soirs rentre dans ta chambre et travaille. Tu sais mieux que moi ce qu’il y a à faire. Méfie-toi de toutes ces femmes. Des fois on en rencontre dans la rue et ce n’est bon qu’à vous conduire dans des guet-apens. Ou bien encore on attrape de mauvaises maladies, et une fois qu’on a ça dans le sang il faut bien qu’on le garde. Tu es déjà d’un petit tempérament.

Je ne te dis pas non plus de n’avoir pas d’amis, mais il n’en faut pas trop. Tu en as eu au lycée, nous les avons reçus pendant les vacances, nous leur avons fait des politesses. Ça n’avait pas l’air d’être des mauvais garçons. Mais tu as vu ça bien des fois avec nous ; les amis ça n’est bon qu’à vous emprunter de l’argent, et souvent on est obligé de le perdre. Je t’enverrai cent vingt francs tous les mois. Tu n’as pas à te plaindre : ça fait quatre francs par jour. Ménage-toi bien et surtout n’emprunte jamais rien à personne. Une fois qu’on s’est mis dans les dettes, on ne sait plus comment en sortir. Et puis on devient pied-plat, il faut toujours emprunter à droite ou à gauche. J’aime mieux encore, si ça te faisait faute, que tu me demandes. Mais réfléchis bien. Moi, mon petit, tu as vu comme je m’étais donné de la peine pour ramasser quelque chose. Je gagne ma vie en travaillant,

Obéis toujours bien à tes maîtres. C’est à celui qui est votre maître qu’il faut être soumis. Des fois il y en a des brutes qui vous prennent en grippe. On ne leur répond pas. Toujours être poli. À la fin ils reviennent et ils se disent : « Tout de même, voilà un petit qui ne dit jamais rien. J’ai peut-être eu tort de le brusquer. » Des fois c’est de ces hommes-là qu’on se fait des amis, parce qu’ils ne sont pas tous mauvais au fond. Et puis ils peuvent vous être utiles. Ne te fâche jamais. Fais comme les Auvergnats. Tu en as vu par ici quand ils viennent vendre de l’étoffe. On leur dit : « Fous-moi le camp, espèce de filou, voleur ! » Ils s’en vont sans rien dire. Et puis quand ils ont fait le tour de la ville, ils reviennent et vous disent : « Mais enfin, Monsieur….. » On les écoute, et des fois ils arrivent à